Les banques, sentinelles de l’anti-blanchissement. L’invention d’une spécialiste professionnelle dans le secteur financier

Auteur•rice•s

Gilles FAVAREL-GARRIGUES

Publication

2007

La lutte anti-blanchiment, enjeu international depuis le sommet de G7 de l’Arche en 1989, s’impose aujourd’hui à tous les Etats et à tous les intermédiaires financiers. Elle a suscité un ensemble de normes destinées à s’appliquer dans le monde entier et s’est étendue, au gré de l’actualité, à de nouvelles problématiques, à l’instar de la lutte contre le financement du terrorisme. Cette question n’a plus aujourd’hui le caractère abstrait d’une série de normes et recommandations; elle est devenue un ensemble de pratiques professionnelles portées par des acteurs spécialisés.


Au cœur du dispositif anti-blanchiment se situent les compliance officers. Chargés de coordonner la lutte anti-blanchiment dans les établissements, ces spécialistes se sont récemment multipliés. En France, ce sont plus d’un millier de personnes qui sont quotidiennement engagées au sein des établissements privés dans le combat contre l’argent sale. L’objectif de ce rapport est de saisir les enjeux de la formation de cette nouvelle spécialité professionnelle et les façons dont ce nouveau rôle a été investi. Cette interrogation s’inscrit dans les problématiques sur la recomposition des missions du policing et sur le management du risque.


Le chapitre I décrit la diffusion spectaculaire des normes internationales anti-blanchiment. Il montre que le consensus international atteint dans ce domaine cache des ambiguïtés fondamentales, qui offrent une marge de manoeuvre considérable aux Etats et aux professionnels. Le chapitre II analyse le cas suisse caractérisé par un model original d’autorégulation dirigée accordant aux professionnels un rôle prépondérant. Le Chapitre III montre comment une nouvelle spécialisation professionnelle s’est imposée dans les établissements français, en insistant sur le rôle des pionniers, souvent issus des mondes policiers et judiciaires. Le Chapitre IV explore les dilemmes posés par la mise en œuvre pratique de la lutte anti-blanchiment. Le Chapitre V montre comment ces acteurs s’insèrent dans de nouvelles interactions professionnelles.


L’observation révèle l’existence de marges de manoeuvre importantes dans les établissements bancaires, leur permettant d’atteindre des objectifs propres : la volonté de se protéger de tout risque pénal et réglementaire, voire de tirer des bénéfices commerciaux des contraintes liées à la connaissance de la clientèle. Les pratiques bancaires se distancient des buts initiaux de la lutte anti-blanchiment, sans pour autant se réduire à une simple apparence. Si elles ne reflètent certainement pas la privatisation d’une fonction régalienne, elles montrent comment de nouveaux acteurs contribuent aux missions de police en développant des interactions régulières avec les diverses institutions gouvernementales concernées. L’appropriation des objectifs de la lutte anti-blanchiment favorise le développement de nouvelles formes d’échange, voire de coproduction de renseignements, entre des milieux professionnels bancaire et policier – qui ne coopéraient pas dans le passé.