La construction de la motivation des décisions criminelles à l’audience: France, Belgique, Suisse

Auteur•rice•s

Anne JOLIVET, Christiane BESNIER, Francis AFFERGAN

Publication

2016

Cette recherche propose d’examiner la motivation des décisions criminelles en France, en Belgique et en Suisse comme l’aboutissement d’une mise en ordre des éléments de preuve recueillis tout au long de la procédure. À partir des liens que tisse la motivation avec l’audience cette recherche aborde les questionnements suivants : que traduit la motivation acquise par l’oralité des débats d’une assemblée composée de magistrats et de non-professionnels (jurés en France et en Belgique, juges laïcs en Suisse) ? La motivation est-elle une garantie contre l’arbitraire ou bien n’est-elle qu’un habillage juridique ? Le débat public et contradictoire de l’audience n’est-il pas plus apte à garantir un procès équitable ? Quel est l’impact de la communication de la motivation auprès des destinataires que sont l’accusé, la partie civile, l’opinion publique ? Les motivations françaises, belges et suisses assurent-elles la garantie d’un verdict compris par l’accusé comme le préconise la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme depuis l’arrêt Taxquet (2009) ? Enfin, les motifs des décisions criminelles, en rendant plus lisible l’acte de juger, parviennent-ils à renforcer la confiance des justiciables en l’institution judiciaire ?

La méthodologie

L’immersion dans les salles d’audience et les contacts noués avec les acteurs de la procédure – magistrats, avocats, greffiers – caractérisent la démarche suivie durant les deux années de la recherche. Au total, plus de deux mois ont été consacrés à l’observation des audiences en France (Paris et Province), en Belgique (Bruxelles et Liège) et en Suisse dans trois cantons (Genève, le canton de Vaud (Lausanne, Vevey) et le canton du Tessin (Locarno, Lugano)). Les jugements recueillis ont été mis en relation avec les notes d’audiences et les entretiens semi-directifs menés auprès des professionnels et des théoriciens du droit spécialistes de la procédure pénale : Benoît Frydman et Damien Vandermeersch pour la Belgique, André Kuhn pour la Suisse. La recherche a été ponctuée par des phases de terrain et de restitution des données, des phases de discussions entre les chercheurs, d’analyses croisées avec les professionnels.

Les principaux résultats

La catégorie juridique « inquisitoire / accusatoire » est apparue obsolète pour rendre compte des nouvelles pratiques judiciaires européennes. La description ethnographique des audiences a permis de surmonter cet obstacle en apportant un regard transversal et plus nuancé de la réalité. Par ailleurs, cette recherche montre que les justices criminelles française, belge et suisse s’inscrivent dans un mouvement de rationalisation des débats pour réduire les coûts et juger plus vite. En effet, l’accélération du temps judiciaire gagne la Suisse, la Belgique et la France dans un souci de gestion managériale. Néanmoins, la recherche démontre que la motivation orale dans la continuité de l’audience est un facteur de restauration du lien social. Le juge peut être un faiseur de paix à condition de lui laisser le temps. Cette recherche souligne enfin, le déficit de la représentation démocratique dans les juridictions criminelles : réduction du nombre de jurés en France (réforme du 10 août 2011), recours aux tribunaux correctionnels en Belgique (réforme de février 2016), suppression du jury populaire en Suisse (Code de procédure pénale de 2011).

Perspectives de recherche

Les enseignements de la recherche conduisent à élargir le champ à d’autres pays européens notamment l’Italie, l’Espagne et le Portugal. L’organe délibérant se professionnalise-t-il dans ces pays à l’image de ce que nous constatons en France, en Belgique et en Suisse ? L’audience publique apparaît-elle comme un lieu d’échanges capable d’offrir un espace de parole, d’écoute et d’échanges ou n’est-elle qu’une formalité qui entérine une instruction écrite ? La motivation des décisions criminelles repose-t-elle sur le dossier ou sur les débats de l’audience ? La motivation orale, si elle existe, apparaît-elle comme un facteur de restauration du lien social ? Enfin, l’oralité des débats a-t-elle encore sa place en Italie, en Espagne et au Portugal, ou ces pays connaissent-ils eux aussi une gestion managériale qui définit les contours d’une nouvelle justice pénale ?