Recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence comme source du droit et instrument de sa théorisation – XVIe-XVIIIe siècles

Auteur•rice•s

Serge DAUCHY, Véronique DEMARS-SION

Publication

2002

Avec les commentaires de coutumes, les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence constituent la source la plus fréquemment utilisée par les historiens du droit. En raison du nombre sans cesse croissant de juridictions à partir du XVIe siècle et de l’accumulation corrélative des archives judiciaires, cette documentation imprimée fournit aux historiens un accès privilégié à la connaissance de la pratique judiciaire et de la procédure d’Ancien Régime. Les juristes positivistes aussi y ont souvent puisé des renseignements susceptibles d’étayer leur réflexion historique tant les sujets les plus divers sont abordés dans cette littérature. Ces ouvrages sont toutefois bien plus qu’une simple compilation de causes célèbres ou insolites réunies au hasard des archives ou de l’intérêt personnel de leur auteur. Les collections d’arrêts commentés — qu’elles présentent la jurisprudence d’une cour particulière ou qu’elles réunissent les décisions de plusieurs juridictions — occupent une place prépondérante dans l’histoire des sources du droit. La littérature arrêtiste révèle en effet la pratique des cours souveraines du Royaume, une pratique confrontée à la coutume, la législation et la doctrine savante. Elle est en d’autres termes l’expression de ce qu’on appelle communément la jurisprudence d’Ancien Régime.

Si de nombreux travaux se fondent sur l’arrestographie, peu en revanche y ont été consacrés. Les manuels, même les plus récents, n’y font que de rares allusions. On ne dispose d’ailleurs toujours pas à ce jour d’une liste exhaustive des recueils d’arrêts imprimés, sans compter les innombrables recueils manuscrits conservés dans les archives et bibliothèques. Les arrêtistes sont en même temps la plus utilisée et la moins connue des sources de notre ancien droit. Pour preuve, on continue à véhiculer l’idée que l’arrestographie est avant tout l’expression de l’ambition des parlementaires. Au-delà de leur fonction de dépositaires des lois, ils se considéraient en quelque sorte comme l’âme du législateur et se seraient dès lors arrogé le droit d’adapter la législation, comme d’ailleurs la coutume, aux nécessaires variations de leur application devant les cours. Les recueils d’arrêts ne seraient que l’expression de cette vanité du corps parlementaire. Une étude objective de cette littérature juridique s’imposait donc, une étude affranchie des idées reçues, des clichés et des lieux communs. À l’initiative du Centre d’Histoire Judiciaire (CNRS – Université de Lille II), et grâce au concours du GIP Mission de recherche «Droit et justice », des historiens, tous spécialistes du droit et de la justice d’Ancien Régime, ont décidé de porter un regard neuf et critique sur ces recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence tantôt décriés, tantôt encensés. Il fallait, en effet, repenser l’esprit, la démarche et l’influence des arrestographes. Le premier objectif de cette recherche est donc de mieux connaître ces ouvrages en s’intéressant aux auteurs, à leurs sources d’information et aux méthodes utilisées pour les réunir, aux moyens mis en oeuvre pour analyser les décisions judiciaires et à la fiabilité qu’on peut accorder à leurs conclusions. Le second implique de s’interroger sur la valeur de la jurisprudence comme source du droit, mais également sur le poids de la littérature arrêtiste sur la rationalisation, l’uniformisation et enfin l’unification du droit. Ces interrogations ont guidé notre démarche et c’est à partir de l’étude générale de la littérature arrêtiste d’un nombre de parlements de province et de l’analyse plus spécifique d’une question à laquelle presque tous les auteurs ont consacré d’importants développements, celle de la famille et plus particulièrement du mariage, que nous avons cherché à y répondre.