L’utilisation des tests génétiques par les assureurs

Auteur•rice•s

Marie-Angèle HERMITTE

Publication

2000

Le projet génome humain aboutit mécaniquement à la connaissance de gènes impliqués dans des maladies et à la fabrication de tests de diagnostic, disponibles sur le marché bien avant que la thérapeutique ne soit au rendez-vous. Ces tests sont utilisés par leurs concepteurs pour repérer la présence d’un gène chez tel ou tel individu (médecine individuelle), et pour constituer de vastes populations de familles concernées acceptant d’entrer dans des protocoles de recherche (compréhension de la maladie) pouvant éventuellement conduire un jour à des politiques de santé publique. On s’est inquiété dès l’origine de cette “ médecine prédictive ” qui, poussée à son terme, articulerait les stratégies de santé publique et la responsabilité de l’individu doté d’une carte d’identité génétique pour une gestion rationnelle de la santé dans un monde transparent. Aujourd’hui que les tests de diagnostic arrivent sur le marché, les nouveaux outils échappent à leurs créateurs. Le type de “ prédiction ” que permet la connaissance du génome d’un individu intéresse cette médecine prédictive, mais il est difficile de faire comme si les résultats des tests n’existaient dans aucune autre sphère de la société. Ils intéressent les employeurs qui sont responsables des maladies professionnelles et les assureurs de la branche “ vie ”, dont le métier est de sélectionner les risques des souscripteurs en fonction de leur espérance de vie, déterminée par le sexe, le métier, les sports, le profil de santé et si nécessaire par des analyses biologiques, etc. La sélection permet à l’assureur de délimiter son engagement et de le tarifer, il s’agit de rien moins que de déterminer l’objet du contrat et le prix. Dans ce but, le souscripteur doit donner tous les renseignements qui lui sont demandés par l’assureur; toute fausse déclaration conduit à l’annulation du contrat si elle est volontaire. On dit que le contrat d’assurance est un contrat de bonne foi qui repose sur la symétrie des informations dont disposent l’assureur et le souscripteur.

Les tests génétiques donnent-ils des renseignements d’une nature différente de ceux dont dispose normalement l’assureur ? Oui, dans la mesure où ils ne décrivent pas un état de santé actuel, mais la certitude ou la probabilité selon les cas d’une maladie future. Il y a donc un décalage dans le temps, mais le contrat de travail comme le contrat d’assurance déploient également leurs effets dans le temps. Le résultat du test génétique est dans la même logique que les réponses apportées aux questions posées aujourd’hui sur l’histoire familiale de l’individu. Pour le reste, ce n’est pas différent des tests biologiques ou radios que l’assureur est parfois amené à demander.

Que faire alors des tests génétiques ? Faut-il laisser les assureurs totalement libres de les utiliser, ce qui conduirait certains d’entre eux à faire de la réalisation des tests une condition préalable à la signature du contrat pour tarifer chacun au plus près de son risque prévisible ? Il existe un consensus pour refuser cette possibilité, sous la forme d’un “droit à ne pas se voir imposer un test génétique” avant de souscrire un contrat (on parle parfois de droit à l’ignorance ou de droit à l’intimité). Il fait dès aujourd’hui partie du droit positif européen puisqu’il est reconnu par la Convention d’Oviedo, et du droit positif français : “L’étude génétique des caractéristiques d’une personne ne peut être entreprise qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique”. Autrement dit, même si le souscripteur consentait à la réalisation d’un test, voire le proposait dans l’espoir d’obtenir un tarif préférentiel, il ne pourrait le faire, il ne pourrait se le voir prescrire. Pour autant, ces textes ne disent pas ce qui se passe lorsque le test a été réalisé pour des raisons médicales: si le résultat est connu du candidat à l’assurance, doit-il le communiquer à l’assureur qui en fait la demande, ce qui est conforme au droit commun de l’assurance et au principe de bonne foi ou peut-on le cacher et pourquoi ? Certes, le code pénal prévoit que “le fait de détourner de leurs finalités médicales ou de recherche scientifique les informations recueillies sur une personne au moyen de l’étude de ses caractéristiques génétiques” est puni d’un an d’emprisonnement et 100 000 F d’amende, mais la pratique du questionnaire et le principe de bonne foi pourraient-ils être assimilés à un “détournement” ?

L’étude essaie de répondre à ces questions en les examinant dans un très large contexte. L’idée était en effet d’éviter de raisonner sur le mode “ bioéthique ”, dans une confrontation directe entre science et morale, mais plutôt de s’interroger sur la légitimité de la sélection des risques dans le contexte de l’assurance privée et de ses règles de fonctionnement. Faudrait-il changer toutes les règles de la société chaque fois qu’un nouvel outil technique paraît ? Il fallait donc rappeler les rôles distincts de la sécurité sociale, antinomique de toute sélection, et de l’assurance privée dont l’existence est reconnue légitime, mais dont les règles de fonctionnement sont sans cesse revues par l’État dans un but de protection des souscripteurs engagés dans un contrat d’adhésion (I) ; montrer comment évolue la pratique des assureurs français qui, lentement, passent à des produits moins mutualisés, plus individualisés, ce qui implique une sélection plus fine et accentue les risques d’antisélection (II) ; examiner les tendances résultant des deux modèles européens, celui des droits de l’homme et celui du marché commun (III) avant d’examiner l’expérience anglaise qui a fait intervenir un jury de citoyens pour établir des règles et des institutions originales aptes à canaliser l’utilisation des tests génétiques par les assureurs sans en refuser le principe (IV). Enfin, il fallait se demander si une telle utilisation mesurée qui paraît concilier le droit des assurances et la protection des personnes introduit ou non des discriminations que le sentiment de justice tel qu’il s’exprime aujourd’hui devrait conduire à déclarer illicites (V).