La résolution des conflits. Justice publique et justice privée, une frontière mouvante

Auteur•rice•s

Annie DEPERCHIN, Serge DAUCHY, Tanguy LE MARC’HADOUR, Véronique DEMARS-SION

Publication

2008

L’histoire de la résolution des conflits est traditionnellement présentée comme directement dépendante de celle de la puissance du pouvoir central. En effet, l’un des signes les plus marquants de la souveraineté étatique réside dans la prise en charge de la résolution des conflits, et c’est bien dans l’organisation de la justice publique que l’État trouve le moyen d’imposer sa souveraineté et de remplir sa fonction de garant de la paix intérieure. Ainsi, la croissance de l’autorité aurait pour corollaire celle de sa capacité à juger les conflits. A l’inverse, les périodes de faiblesse de l’autorité centrale entraîneraient un affaiblissement corrélatif de la justice publique et permettraient l’épanouissement des modes de résolution négociés. Ce schéma historique correspond à peu près à celui de la formation des états européens dans le courant du Moyen Age et à l’époque moderne, périodes pendant lesquelles l’affirmation de l’État et de sa vocation justicière étaient étroitement liées.

Néanmoins, cette idée mérite d’être nuancée car elle aboutit à opposer arbitrairement justice étatique et modes alternatifs de résolution des conflits. Or, justice publique et privée, loin de s’opposer systématiquement, ont coexisté à toutes les époques, et se sont parfois même complétées. A ce sujet, il convient de souligner que l’État n’a jamais voulu s’assurer le monopole du règlement des conflits, mais simplement la primauté. Ainsi, en instaurant ou en cautionnant des pratiques telles que l’arbitrage ou la transaction, l’autorité publique a laissé aux justiciables les moyens de gérer eux-mêmes leurs conflits tout en se réservant la possibilité d’en assurer la sanction finale. Cette affirmation, valable pour l’État médiéval, l’est également pour l’État moderne et contemporain. Dans cette mesure, les pratiques conventionnelles participent peut-être d’un infra-judiciaire, et témoignent d’une volonté de l’État de laisser à la société le soin de s’autogérer à partir du moment où il assure le contrôle final.

De cette réflexion sur les rapports entre justice publique et privée en naît une autre : celle du rapport entre les types de conflits et les modes de règlement choisis. Face à la diversité des modes de résolution existants, on peut se demander comment et par qui la répartition est effectuée? Est-elle choisie par les justiciables ou imposée par l’État ? Pour quelles raisons et selon quels critères ? La question de l’opportunité du mode de résolution est en effet tout aussi importante que celle de sa nature.

Cette recherche, qui s’inscrit dans la continuité des travaux déjà menés avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice sur le thème de la résolution des conflits, poursuit plusieurs objectifs.(1)

En premier lieu, elle est destinée, à travers une étude historique s’étendant de l’Antiquité à nos jours, à restituer la généalogie des rapports entre justice étatique et modes alternatifs de résolution des conflits. Nous voulons également apporter à notre recherche une dimension internationale. Il nous semble en effet que la comparaison de notre système juridique avec celui de pays voisins, comme l’Allemagne ou les états membres du Bénélux, peut être riche en enseignements en raison de la diversité de leur histoire, de leurs institutions et des politiques poursuivies. Il conviendra en outre d’envisager une comparaison avec les pays anglo-saxons, dont l’histoire judiciaire et le système juridique fondé sur la Common Law présentent une profonde originalité par rapport aux nôtres. En outre, l’appel à des chercheurs étrangers permettra d’obtenir leur point de vue sur notre système juridique et judiciaire et notre manière de résoudre les litiges.

Enfin, parce que la recherche actuelle ne peut plus se cantonner aux considérations de spécialistes d’une seule discipline sur un problème, nous convions des chercheurs et universitaires de disciplines différentes afin de donner à nos journées un important aspect pluridisciplinaire.


(1) Mars 2001, Les modes alternatifs de résolution des conflits : approche générale et spéciale ; avril 2001, Les représentations sociales du règlement des litiges. Le cas des modes alternatifs ; mai 2001, Les modes alternatifs de règlement des conflits : un objet nouveau dans le discours des juristes français ?