Des erreurs ou des fraudes ? Le sens des sanctions en matière fiscale

Auteur•rice•s

Alexis SPIRE, Katia WEIDENFELD

Publication

2014

L’enjeu de cette recherche est de restituer le processus complexe par lequel une forme d’évitement de l’impôt peut se transformer ou non en délit poursuivi devant un tribunal correctionnel et puni. Le sens de la peine en matière fiscale dépend à la fois de la structure des dispositifs de sanction mis en place par les pouvoirs publics, des catégories de perception des agents de l’État mais aussi de la capacité des contribuables à faire évoluer la frontière entre pratiques légales et illégales.

La recherche conduite durant deux ans et demi s’est appuyée sur un très grand nombre d’entretiens et sur la constitution d’une base de données à partir d’affaires terminées en 2011. Nous avons également collecté des informations relatives à la pénalisation de la fraude fiscale en Angleterre et aux États-Unis.

L’évolution des modes de régulation de la fraude fiscale du XVe siècle à nos jours est d’abord envisagée. On s’intéresse ensuite aux conditions dans lesquelles les agents des finances publiques sélectionnent une infime minorité de cas pour les soumettre aux juges. Leur objectif de recouvrement tend le plus souvent à l’emporter sur celui de produire un effet dissuasif. Le troisième chapitre aborde les conditions dans lesquelles les juges se réapproprient les dossiers qui leurs sont transmis. Les magistrats prononcent la culpabilité dans la quasi-totalité des cas mais les peines sont essentiellement symboliques. Ce paradoxe s’explique par deux séries de raisons. D’une part, les dossiers transmis aux parquets paraissent déjà résolus et donnent rarement lieu à des investigations complémentaires. D’autre part, les sanctions classiques –prison et amende-, paraissent assez mal adaptées à la fraude fiscale et si d’autres peines existent, elles sont très rarement prononcées.

Le quatrième et dernier chapitre présente les modes de fonctionnement de la pénalisation de la fraude fiscale en Angleterre et aux États-Unis. En Grande Bretagne, la volonté d’augmenter le nombre de poursuites pénales a conduit les pouvoirs publics à cibler les promoteurs de fraude fiscale et des secteurs réputés fraudogènes, notamment en raison de l’importance des transactions en liquide. L’évasion fiscale pratiquée par les grandes sociétés est en revanche, jusqu’à maintenant, épargnée. Aux États-Unis, une part importante de la politique de dissuasion réside dans une publicisation systématique des poursuites accomplies en matière de fraude fiscale et dans le ciblage des conseillers fiscaux impliqués dans des montages frauduleux.

Ce rapport met en lumière les insuffisances du fonctionnement de la répression pénale de la fraude fiscale en France. D’un côté, les fraudes commises par les puissants, entreprises ou particuliers, restent souvent impunies. De l’autre, les peines prononcées par les juridictions pénales restent souvent symboliques et manquent leur fonction répressive comme dissuasive.