Temps judiciaire et logique gestionnaire. Tensions autour d’un instrument d’action et de mesure

Auteur•rice•s

Cécile VIGOUR

Publication

2011

Les préoccupations anciennes relatives à la célérité de la justice se trouvent requalifiées par des exigences plus contemporaines, liées aux droits de l’homme, aux transformations du rapport au temps dans les sociétés modernes et aux recompositions de l’État. Progressivement, une logique gestionnaire, qui s’intéresse à l’organisation de la production plutôt qu’à la production elle-même et qui se caractérise par une plus grande sensibilisation aux notions de coûts et d’efficience, au-delà de la recherche de « qualité », s’impose dans les services publics, y compris l’institution judiciaire.

S’appuyant sur des observations et une cinquantaine d’entretiens réalisés principalement dans quatre tribunaux de grande instance et deux cours d’appel, l’enquête s’inscrit dans une perspective de sociologie de la justice et de l’action publique, intégrant les dimensions professionnelle et organisationnelle. L’un des enjeux est d’articuler analyse des instruments et des acteurs mobilisés – professionnels du droit, cabinets de conseil et acteurs politiques.

La recherche porte sur les transformations dans le rapport au temps des professionnels du droit et les effets propres de l’introduction d’une approche gestionnaire en la matière. La prégnance croissante des préoccupations en termes de délai, de coût et de qualité change les pratiques et les identités des professionnels de la justice, bien que de manière différenciée selon les fonctions exercées (particulièrement au Parquet).

Pour réduire les délais, trois principales solutions sont identifiées depuis plusieurs décennies : améliorer l’organisation et les méthodes de travail, augmenter les moyens ou recentrer les missions de la justice. Depuis les années 1990 où la première option est privilégiée, dans les juridictions, l’objectif est de mieux s’organiser pour faire face au volume de contentieux dans un cadre financier contraint. Dans le sillage de la Loi Organique relative aux Lois de Finance et de la Révision générale des politiques publiques, le développement de l’instrumentation au niveau local ou national, qui repose sur l’informatique et les nouvelles technologies de la communication, (outils de standardisation des décisions, dématérialisation des échanges avec les avocats et les services enquêteurs), sur l’optimisation de l’organisation du travail (audits, démarche qualité de type ISO 900l, généralisation d’une approche lean en matière familiale) et sur des indicateurs statistiques (gouvernement par le chiffre fondé sur le benchmarking), est vecteur de nouvelles normes professionnelles et organisationnelles. Les identités apparaissent fragilisées par les injonctions contradictoires émanant du politique, par le sentiment d’une dégradation structurelle des conditions de travail et par une responsabilisation accrue dans un contexte de médiatisation. Enfin la primauté accordée aux aspects organisationnels conduit à estomper la dimension politique des missions assurées par cette fonction régalienne, en s’intéressant à la manière dont la justice est rendue plutôt qu’à la fonction de juger.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Le temps judiciaire