La présente recherche porte sur les pratiques de l’expertise dans le domaine du bâtiment à Paris, ses faubourgs et sa banlieue, voire en Province. 1 202 procès-verbaux des années 1706 et 1726 constituent le corpus de travail de notre équipe pluridisciplinaire. La Mission de recherche « Droit et Justice » nous a permis de réaliser cette étude de faisabilité. Les Archives nationales s’y sont associées à titre de partenaire. La première analyse, à partir d’un échantillon des cent premières expertises de chaque année, s’interroge sur huit thématiques : la durée, le volume, les annexes, la géographie, les acteurs, le déclenchement, la typologie et le coût de l’expertise. Les résultats obtenus nous permettent d’envisager sereinement la poursuite de notre projet général retenu par l’ANR.
Dans le domaine de l’histoire des techniques notre étude a permis de confirmer la contribution des experts au perfectionnement et à la codification de l’« art de bâtir ». Les experts innovent et contribuent à la mise en écrit de la construction par la publication de traités et de manuels. Ils prennent également part aux débats techniques de leur temps. Notre enquête ouvre deux nouvelles perspectives de recherche. La première concerne les rapports entre entrepreneurs et architectes au sein du corps des jurés experts. La deuxième vise à la restitution des pratiques concrètes et matérielles de l’expertise.
Les logiques de formation de la valeur immobilière sont encore très peu explorées en histoire économique. Les estimations faisant partie du corpus dépouillé dans le cadre de ce projet ont permis à plusieurs titres d’éclairer ces logiques. Alors que le critère d’évaluation le plus utilisé dans l’absolu reste celui de la valeur intrinsèque, la comparaison entre 1726 et 1776 montre une progressive « marchandisation » des expertises, l’objectif des experts étant de plus en plus celui de comprendre comment calculer une rente effective ou potentielle pour transformer les immeubles en sources de profit. À la fin du XVIIIe siècle, l’économie et ses logiques spéculatives semblent donc désormais pleinement intégrées à l’univers de l’expertise.
L’expertise est une mesure juridique d’instruction. Sa matérialité se construit à partir des formulaires, il est d’abord un écrit qui porte témoignage d’informations variées. Souvent accompagnée d’annexes éclairantes, elle est le résultat d’un travail oral entre les protagonistes. La mission de l’expertise est la clé de celle-ci. Même si l’expert se refuse à trancher une question de droit, les problèmes auxquels il doit répondre sont pour le moins juridiques. La coutume de Paris devient le soubassement culturel des experts. S’ils ne peuvent rendre que des avis, nous avons observé une certaine « juridicisation » de l’expertise avec le temps. Enfin, l’expertise permet de poser les bornes d’un statut juridique, mais officieux, de l’architecte.