Les sources du droit international pénal : l’expérience des tribunaux pénaux internationaux

Auteur•rice•s

Elisabeth LAMBERT ABDELGAWAD, Emanuela FRONZA, Mireille DELMAS-MARTY

Publication

2004

La recherche repose sur un constat de départ : les processus d’internationalisation du droit et de la justice, ou mieux de mondialisation, marquent aujourd’hui le champ pénal. Les Tribunaux Pénaux Internationaux ad hoc pour l’ex Yougoslavie et le Rwanda sont une illustration exemplaire de ce phénomène et peuvent constituer un laboratoire d’observation privilégié concernant le système de sources du droit pénal international, les mutations par rapport au système pénal national, ainsi que pour analyser le rôle (central) assumé par le juge dans ce processus de création et d’élaboration des normes.

La problématique au cœur de la recherche était la question suivante : comment naît la norme pénale internationale ? Il s’agit, en effet d’une recherche sur la méthode d’élaboration d’un droit en création. C’est à partir de l’examen de l’activité de ces deux juridictions que l’on a pu dégager la spécificité de cette discipline par rapport aux mécanismes d’élaboration des normes pénales internationales, aux missions des juges, et aussi par rapport au droit pénal étatique et au droit international classique. En effet, le droit international pénal accompagne et appelle une mutation à la fois du droit pénal et à la fois du droit international classique, en ce qui concerne la méthode et le contenu. Toutefois l’état embryonnaire du droit international pénal et les dynamiques de production de ces normes appellent également un renouvellement du droit comparé, en tant que méthode notamment. En effet, les juges internationaux, (et maintenant aussi l’article 21, lettre c) du Statut de la Cour pénale internationale), revendiquent souvent l’utilisation de la méthode comparative (droits nationaux ou Cours régionales). Ainsi les juges internationaux, soucieux de représenter une culture juridique plurielle et en vue de légitimer leur solutions (souvent face à une lacune – de droit de fond ou de procédure -) font davantage appel à la jurisprudence et aux notions juridiques théoriques développées au niveau étatique ou régional. Cette dynamique tout à fait nouvelle, dessine un nouveau paysage avec des acteurs différents et avec de nouvelles méthodologies.

Dans le cadre d’une étude sur les sources du droit international pénal à la lumière de l’expérience des Tribunaux pénaux internationaux ad hoc, on a identifié comme questions fondamentales l’examen de l’utilisation des sources classiques du droit international, du droit international des droits de l’homme, ainsi que des rapports entre le droit pénal international et le recours aux différents droits pénaux nationaux, considérant, notamment, leur influence mutuelle. Enfin une problématique fondamentale, et qui se retrouve d’une manière transversale et selon des perspectives différentes dans tous les Rapports, a été la réflexion sur le contexte (spécifique) dans lequel les acteurs de la justice pénale internationale opèrent. Un autre aspect fondamental, dont l’importance a émergé d’une manière transversale dans tous les Rapports, est que les juges assument un rôle davantage plus important, à tel point que l’on hésite pas à qualifier la jurisprudence en tant que source – principale – du droit international pénal.

L’objectif principal de la recherche a donc été celui d’identifier les sources du droit international pénal, leur hiérarchie / priorité à partir de l’expérience des TPI, en analysant aussi dans quelle mesure leur activité a influencé le système de sources prévu dans le Statut de la Cour pénale internationale. La recherche proposée comprend donc tout d’abord un travail sur les différentes sources – au centre desquelles nous placerons les sources du droit international général, la jurisprudence et le droit comparé – du droit international pénal, analysées sous l’angle du droit pénal et du droit international et dans la perspective d’un droit pénal à vocation universelle. Cette analyse des sources suppose également et conjointement l’étude des acteurs qui participent à l’élaboration de la norme internationale pénale. L’étude des sources vise aussi à vérifier si, au travers des principes et règles élaborés par les juges des TPI à partir de méthodes et de sources diverses, se dessinent des interactions entre les différents niveaux normatifs. Cet aspect revêt une importance particulière par rapport à l’usage de la méthode comparée et à l’incorporation des droits nationaux parmi les composants de la norme pénale internationale. Il s’agit de déterminer les modes d’élaboration de la norme internationale pénale au travers des processus et mouvements de circulation de la norme passant par des interactions plus ou moins organisées et plus ou moins fortes entre les différents espaces et niveaux normatifs qui composent l’univers juridique international pénal. Dans cette perspective, nous avons accordé une attention particulière à la méthode comparée et à l’usage par les TPI des droits pénaux nationaux. Il fallait tout d’abord déterminer comment les droits nationaux deviennent source du droit international pénal, puis identifier quels sont les droits nationaux utilisés et ainsi préciser la notion même de “ droits nationaux ” (ou encore droit interne). Enfin, il s’agissait d’examiner pourquoi et selon quels critères les juges font appel à certains droits pénaux ou à certains systèmes juridiques et pas à d’autres, et dans quelles affaires et à quel degré du jugement (un Rapport de l’équipe, notamment a essayé d’étudier si les sources utilisées peuvent changer en première instance ou en appel).