Que ce soit en droit constitutionnel comparé ou en droit international, les évolutions sont largement liées au fait que la question des institutions de clémence interfère avec les droits fondamentaux. En pratique, ce sont moins les institutions de clémence en tant que telles que la manière dont elles sont utilisées, et les abus éventuels auxquels elles peuvent donner lieu, qui amènent à encadrer la disposition que l’autorité publique en a et la considération qu’elle est éventuellement tenue d’accorder aux victimes.
C’est d’abord ce que confirme l’étude de l’amnistie. Celle-ci est consacrée dans les principaux modèles de droit européen (sauf le droit norvégien), même si son application est de plus en plus rare (stabilisation des démocraties). Il s’agit, en général, d’une institution à caractère principalement pénal dont le but est d’être un instrument de conciliation sociale et dont le fondement est bien souvent constitutionnel. Le droit international ne met pas en cause l’amnistie en tant que telle mais certaines applications. S’il semble bien qu’une norme impérative interdise les formes les plus abusives d’amnistie (auto-amnisties qui couvrent les crimina juris gentium, tels que génocide et crimes contre l’humanité, ou encore agression, piraterie et esclavage, par exemple), dans tous les autres cas, la question reste ouverte et soumise à une appréciation d’espèce.
La grâce est constitutionnalisée presque partout et sa compatibilité avec certains principes fondamentaux (de protection et sécurité juridique, de nécessité des peines, de séparation des pouvoirs et d’égalité) ne soulève finalement que peu d’interrogations en droit positif. Sur le plan du contrôle juridictionnel, la grâce est bien un acte particulier, « exception » voulue et acceptée par les États et même par les juridictions qui, pour la plupart, rejettent d’elles-mêmes la possibilité d’un contrôle de la mesure de grâce. Concurrencée dans sa fonction correctrice par d’autres techniques telles que la remise de peine ou la libération conditionnelle, la grâce a aussi une fonction instrumentale et surtout symbolique. Le droit international s’en accommode et va même jusqu’à la protéger, soit comme mesure de réparation, soit comme composante du droit à un recours effectif, en particulier dès lors qu’il y a application de la peine de mort. Il encourage néanmoins le titulaire du pouvoir de gracier à prendre en compte la gravité de l’infraction et prévoit l’encadrement du droit de grâce interne par les juridictions pénales internationales lorsqu’est en cause l’exécution de peines prononcées par celles-ci.
La prescription, perçue avant tout comme une mesure d’intérêt social (apaisement de la société, sécurité juridique) et non comme un droit individuel, n’est généralement pas un principe constitutionnalisé mais se retrouve néanmoins dans certains principes du droit pénal à valeur constitutionnelle (principe de la nécessité des peines ou de proportionnalité, ou encore de la légalité). Elle jouit souvent d’un large crédit, parce que, contrairement à l’amnistie et à la grâce, elle n’est pas un acte direct de volonté du politique et a un caractère général, abstrait et automatique. Dans les systèmes juridiques qui l’adoptent, elle est la règle, l’imprescriptibilité étant l’exception, et sa durée varie en fonction de la nature et de la gravité soit de l’infraction, soit de la peine. En droit international, l’érosion de la prescription est liée à l’affirmation de l’imprescriptibilité des crimes internationaux, les organes internationaux de protection des droits de l’homme ayant étendu cette qualification aux violations dites graves des droits de l’homme et les droits internes tendant à l’élargir pour y rattacher des infractions comme le terrorisme, la pédophilie ou la pornographie enfantine. A défaut d’une imprescriptibilité qui pénètre aussi dans les droits internes, l’allongement des délais de prescription est envisagé par certains textes internationaux et pratiqué dans certains droits internes.
En définitive, l’analyse combinée du droit international et des droits nationaux révèle plus de complémentarité qu’il n’y paraît, ainsi que des nuances. On ne passe en effet pas, sur un mode binaire, d’une logique de tolérance à une logique d’éradication. L’ancien modèle, issu des systèmes internes, qui fait des mesures de clémence des instruments de régulation sociale passibles, à des degrés divers, d’usages politiques, continue d’exister mais il se combine avec un modèle nouveau, largement issu du droit international, qui vient faire obstacle à l’impunité pour les crimes les plus graves et sanctionner les abus.
Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Amnistie, grâce et prescription en Europe