Dans le domaine foisonnant de la responsabilité administrative, la responsabilité de l’État du fait de la justice est traditionnellement considérée comme relevant des régimes législatifs de responsabilité, trois lois essentielles étant venues en 1895, 1970 et 1972 reconnaître le principe de cette responsabilité pour certains dommages causés par l’exercice de la justice, mission de souveraineté par essence, à savoir les erreurs judiciaires, les détentions provisoires injustifiées, les dysfonctionnements et les dénis de justice. Étant donné le mouvement de démocratisation et de transparence de l’État, la réflexion a été amorcée par la question de savoir si le service public de la justice était un service public comme les autres et devait, non seulement être responsable de toutes ses fautes, mais encore indemniser toutes les conséquences dommageables des risques présentés par ses activités.
Juridiquement, trois problèmes spécifiques se posaient.
Tout d’abord, les lois précitées avaient prévu des régimes de responsabilité relevant des catégories du droit administratif – le risque social d’erreur judiciaire ou de détentions provisoires injustifiées et la faute lourde consécutive aux dysfonctionnements du service et aux dénis de justice -, tout en consacrant la compétence des tribunaux judiciaires pour en connaître. On pouvait penser que cette dissociation de la compétence et du fond était à l’origine, au moins partiellement, d’un engagement peu fréquent de la responsabilité de l’État du fait de la justice.
Ensuite, le mouvement d’abandon de la faute lourde au profit de la « faute de nature à » engager la responsabilité de l’administration, initié par le Conseil d’État pour les autres services publics régaliens, comme la police ou le fisc, et les services présentant des difficultés particulières d’exécution, comme le service médical, la lutte contre les incendies ou les opérations de sauvetage, conduisait à s’interroger sur l’opportunité de ranger la faute lourde de la justice au tiroir des accessoires surannés de la souveraineté.
Enfin, le consensus, entretenu par la démocratie d’opinion et relatif à l’extension de la responsabilité de l’État du fait du service de la justice, devait-il aller jusqu’à reconnaître cette responsabilité du fait de la fonction juridictionnelle elle-même et jusqu’à revenir à une responsabilité personnelle et pécuniaire des magistrats pour les fautes dommageables commises dans l’exercice de leurs fonctions, alors que la prise à partie avait été abolie en 1970 ?
Dès lors, une éventuelle contradiction est apparue : comment concilier l’abandon de la faute lourde imputable au service de la justice avec la nécessaire résurgence de la faute lourde des magistrats, dont on ne saurait engager la responsabilité personnelle pour de simples fautes de service.
En conséquence, trois objectifs se sont logiquement imposés.
En premier lieu, conduire une étude comparée des systèmes juridiques les plus proches du nôtre afin d’identifier peut-être des solutions transposables au cas français.
En deuxième lieu, montrer que l’exigence de la faute lourde ne correspond plus aux standards européens et français de protection des justiciables et examiner si, dans la jurisprudence des tribunaux judiciaires, il n’y avait pas déjà un frémissement en faveur d’une acception plus large de la faute lourde, étant observé que la Cour de cassation ne peut pas l’abandonner purement et simplement de façon prétorienne, comme peut le faire le Conseil d’État qui ne reconnaît pas la loi de 1972 applicable aux juridictions administratives. Or, il est advenu qu’au cours de la recherche la Cour de cassation a élargi notablement sa conception de la faute lourde du service de la justice, tout en en maintenant l’exigence toujours formulée dans la loi.
En troisième lieu, faire progresser la réflexion sur les deux questions les plus ardues : d’une part, trouver les voies d’une admission de la responsabilité du fait de la fonction juridictionnelle, véritable « nœud gordien » de la responsabilité du fait de la justice, notamment en trouvant des arguments pour faire tomber les obstacles traditionnels à son admission. D’autre part, examiner les tenants et les aboutissants de la responsabilité personnelle des magistrats, laquelle existe théoriquement par la voie de l’action récursoire de l’État et plus concrètement par la voie de l’action disciplinaire, toujours préférée jusqu’ici, à supposer d’ailleurs qu’un renforcement de cette responsabilité personnelle soit souhaitable.