Émergence du problème des places « off shore » et mobilisation internationale

Auteur•rice•s

Pierre LASCOUMES, Thierry GODEFROY

Publication

2002

La question des « places offshore » a acquis au cours des dernières années une visibilité croissante dans les débats nationaux et internationaux. A la fin du printemps 2000 trois organismes internationaux – OCDE, GAFI, FSF – ont publié des listes de ces territoires, appelant au renforcement de l’action internationale. En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques (examinée à la fin de l’année 2000 et au début de 2001) a introduit de nouveaux dispositifs spécifiques les concernant et une mission d’enquête parlementaire après s’être penchée pendant plus de deux ans sur ces questions a achevé ses travaux en avril 2002. Enfin, à la suite des attentats de septembre 2001 et de la lutte contre le terrorisme, le GAFI et le FMI ont reçu mandats de renforcer les contrôles sur les circuits financiers clandestins passant par ces places.

Cette émergence apparemment soudaine du problème et l’unanimisme de la mobilisation dissimulent en fait de multiples recompositions et ambiguïtés. Au départ, c’est à dire depuis l’entre deux guerres, la question de la régulation des relations avec les places Offshore est essentiellement posée en termes fiscaux et douaniers. Il faut attendre le milieu des années quatre-vingt pour que la lutte contre les trafics de drogue et le crime organisé conduise à envisager différemment le problème. Nous montrons cependant que l’enjeu est plus composite et qu’il combine quatre dimensions interdépendantes : privilèges fiscaux, refuge de «l’argent sale », risque de déstabilisation financière et obstacles à la coopération judiciaire.

Toutefois, la mobilisation de chaque organisme traite l’enjeu sous un jour spécifique : pratique fiscale dommageable, lutte contre le crime organisé, stabilité monétaire et financière. Mais ces approches vont être en partie agrégées autour de la formulation d’un problème d’apparence consensuelle qui reste cependant hétérogène.

Cette actualité et cette unanimité apparente méritent quelques interrogations, c’est le point de départ de notre recherche. Nous nous sommes attachés à rendre compte des débats qui ont accompagné le mouvement de normalisation des offshore entrepris depuis une décennie. Notre travail est centré sur les approches développées simultanément par trois grands organismes internationaux : l’OCDE, le GAFI, le FSF. L’action de ces organismes fournit un exemple (décliné en trois modalités) d’un effort de régulation internationale basé sur une méthodologie originale du naming and shaming (désigner et blâmer). Chacune d’elle a souligné à sa façon l’importance des pratiques de confidentialité et les difficultés d’accès aux informations observables dans ces places, ardemment défendues voire revendiquées. Les préoccupations liées aux techniques de blanchiment des produits de la fraude ont été un révélateur des enjeux spécifiques qu’ils entendent traiter. C’est surtout vrai pour le GAFI, et secondairement pour l’OCDE (fraude fiscale) et le FSF (risque financier). Enfin, ces organismes ayant mené à bout leur travail d’investigation, de classement et une première étape de publicisation des résultats, on peut également s’interroger sur le sens et la portée de cette action internationale en termes de mise en place d’action de coopération, et de possibilités de réaction structurée face aux pratiques des places qui refusent de coopérer.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Programme européen : Grotius