Usages du droit et représentations de la justice. Enquête sur le (non) recours au droit

Auteur•rice•s

Nicolas FIEULAINE, Nikos KALAMPALIKIS, Valérie HAAS

Publication

2010

Cette recherche visait spécifiquement à explorer les dynamiques psychosociales à même de rendre compte de l’action et de l’inaction en justice, en référence à ces deux champs d’étude des logiques de mobilisation du droit et de la justice. En s’appuyant sur l’étude conjointe des représentations sociales de la justice, des expériences de conflits et des pratiques de recours ou de non recours, elle a cherché à mettre en évidence par une enquête de terrain les formes prises par l’interdépendance de ces niveaux d’analyse.

Cette enquête de terrain, effectuée dans l’agglomération lyonnaise, permet de fonder une première approche psychosociale du phénomène complexe que représente le non recours à la justice, au travers de ses contextes de mise en œuvre, contextes tout autant institutionnels, sociaux, que symboliques. À partir du choix et de l’exploration de certaines « arènes » du non recours (les terrains de l’accès aux droits), d’échanges avec leurs acteurs, de l’observation des interactions qui s’y déroulent, et du recueil qualitatif et quantitatif des motifs et logiques de mobilisation du droit et/ou de la justice, se dégagent des formes contrastées de non recours. Marquées par une variété des demandes et de leurs modalités, ces différentes formes de non recours partagent néanmoins des dynamiques sous‐jacentes et des ancrages communs qui laissent apparaître une « psychologie sociale du justiciable », ici partiellement dévoilée, mais qui pourrait constituer dans l’avenir un champ de recherche actif et spécifique.

C’est ainsi tant au niveau empirique qu’hypothétique que se dévoilent les liens entre représentations sociales et expériences. Outre la dynamique psychosociale potentiellement porteuse de ces liens, il apparaît dans les résultats que les représentations seraient tributaires des expériences de Justice. Bien que ces dernières soient dans cette enquête en partie indirectes et que leur imprécision constitue une limite aux constats, elles engagent visiblement des rapports différenciés à la Justice, dans le sens de conceptions moins ostracistes et idéalistes, mais également en alimentant parfois la défiance, et plus important encore, dans le cadre du présent travail, une attitude de retrait et d’évitement, clairement indicative de potentiels non recours.

Ces résultats illustrent de manière probante le rôle capital du partage social des ces perceptions, expériences, interrogations, vécus subjectifs, dans l’élaboration d’un langage et d’une grammaire appropriés. La mémoire de conflits perçus comme passés, de leur résolution, des pratiques que cette dernière a nécessité sont autant d’éléments qui jouent un rôle fondamental dans le rapport entretenu dans le présent aux expériences de justice. Cette précision permet par ailleurs de souligner l’aspect transversal de la temporalité. Tenant compte du fait que toute situation se trouve dans une perspective temporelle contenant à la fois le passé (la trajectoire, les souvenirs, la mémoire…), le présent (les situations, les contextes…) et le futur (les projets, les intentions, les aspirations…), le facteur du rapport au temps apparaît comme un aspect crucial à prendre en compte. Le non recours, soulignent les auteurs, constitue un certain rapport à la justice, fondé sur des représentations et des expériences dont les ressorts psychosociaux restent à explorer davantage, mais qui ne peut être a priori assimilé à une opinion négative à l’égard de la justice. Sous cet angle, l’évitement de la justice (que l’on pourrait supposer correspondre à un comportement effectif de non recours) est bel et bien une forme de contact avec la justice. Les observations des consultations avec les acteurs des lieux d’accès aux droits, ainsi que l’enquête auprès des publics de ces lieux ont permis de constater des stratégies de recours. Partant, cette recherche offre des outils validés permettant de saisir les stratégies du recours à la justice dans une perspective temporelle plus appropriée qui pourrait prendre la forme d’un suivi longitudinal. Cette perspective est indispensable si l’on veut suivre de manière complète les trajectoires des acteurs, le devenir de leurs démarches, le labyrinthe que certains d’entre eux empruntent dans la prise en charge, le faire face et la tentative de résolution de leurs problèmes.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Non recours