Le procès pénal a été construit, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, sur l’affirmation de l’action de l’État et sur une certaine mise à distance des victimes supposées animées par un désir de vengeance. Depuis trente ans néanmoins des pressions importantes ont été exercées en faveur d’une réévaluation de la place accordée aux victimes d’infractions pénales. De nombreuses mesures ont porté sur l’amélioration de leur prise en charge, avec la mise en place d’aides juridiques, financières et psychologiques. Les victimes se sont vues octroyer de nouvelles possibilités de s’exprimer à l’audience, de participer aux poursuites pénales ou d’y être représentées. Cette réévaluation de la place des victimes a été considérée par de nombreux commentateurs comme un facteur susceptible d’entraîner une reconfiguration profonde de la justice pénale. Elle a suscité des controverses, et fait encore l’objet d’une vive actualité, notamment autour des procès dits « de masse », concernant aussi bien des catastrophes naturelles, des accidents technologiques que des attentats terroristes.
Au-delà des controverses qui traversent les arènes publiques et doctrinales, ce rapport analyse la manière dont, en pratique, les acteurs du procès pénal intègrent cette nouvelle donne. On s’intéresse tout d’abord à la manière dont les victimes investissent l’audience. Certes, dans les débats, les juristes évoquent régulièrement les attitudes des victimes dans le prétoire : ils font des hypothèses générales sur le statut de victime, ils apportent des exemples puisés dans des expériences professionnelles, ou mobilisent des témoignages issus de praticiens ou de victimes. Mais, aucune étude n’a éclairé, jusqu’ici, de façon systématique la manière dont les victimes investissent concrètement une audience pénale. On s’intéresse ensuite aux professionnels du droit. Alors que dans l’arène doctrinale, la montée des victimes est traitée comme un problème à débattre, à l’audience pénale, la présence des victimes est avant tout pour les professionnels du droit, une situation à gérer. Ici aussi, les travaux manquent pour mieux comprendre comment ces professionnels réagissent à cette présence des victimes dans le déroulement même de l’audience.
En s’appuyant plus particulièrement sur les observations réalisées à l’audience d’un procès pénal relatif à une catastrophe de santé publique – le drame de l’hormone de croissance contaminée -, ainsi que sur des entretiens menés auprès d’avocats, le rapport entend nourrir la réflexion doctrinale, les pratiques professionnelles et associatives, ainsi que les débats publics concernant les politiques pénales.