Les Kanaks face à l’appareil judiciaire en Nouvelle-Calédonie

Auteur•rice•s

Alban BENSA, Christine SALOMON

Publication

2003

Les relations complexes entre les Kanaks (peuple autochtone de la Nouvelle- Calédonie) et l’appareil judiciaire français sont le plus souvent abordées du point de vue du droit. Les attitudes et les valeurs mélanésiennes, saisies comme un tout homogène désigné par le terme de « Coutume », sont ainsi opposées à cette autre totalité, supposée elle aussi cohérente et systématique, le droit français. À ce dualisme pré-construit, il est aisé de superposer la grille éculée des oppositions entre droit collectif et droit individuel, coutume et liberté, tradition et modernité etc., schèmes moins fondés sur l’observation des faits que sur la reprise de notions apparues au XIXe siècle avec l’expansion coloniale et la formation des États-nations.

Si les écrits sur « Droit et Coutume » sont légion, ils se fondent souvent davantage sur le livre, sans grande valeur scientifique ni même documentaire, d’Eric Rau que sur des recherches de première main. L’intérêt pour ce sujet quelque peu conventionnel se retrouve dans l’histoire de toutes les colonies. Se heurtant à d’autres organisations sociales que la sienne, en Algérie, en Indochine ou en Nouvelle- Calédonie, le législateur français tente, dans un mouvement contradictoire, à la fois d’appliquer son propre droit et de codifier celui des colonisés. Cette attitude connaît un certain regain aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie avec la remise en selle des « autorités coutumières » au sein du Sénat Coutumier. Dans cette institution, les Kanaks sont eux-mêmes invités à passer des règles pratiques et autres usages à des réglementations écrites. Ce travail tend lui aussi à entériner l’opposition entre « coutume » et droit ramenant ainsi le débat à un « choc des cultures » sans prendre en compte l’histoire et l’ethnographie des pratiques.

Pour éviter de perpétuer ce type de discours idéologique, dont la raison d’être est éminemment politique, la réflexion doit être fondée et orientée par des enquêtes historiques et ethnographiques. C’est ce que nous avons tenté dans ce rapport en restituant les informations anthropologiques recueillies sur le terrain (en Province Nord et à Nouméa) et en les réinscrivant dans le contexte historique très particulier où elles prennent sens.