Les femmes détenues au travail

Auteur•rice•s

Fabrice GUILBAUD

Publication

2011

L’objet principal de la recherche est le travail des femmes détenues. Ce rapport est fondé sur une enquête de terrain menée en 2010 dans deux prisons : la Maison d’Arrêt des Femmes à Fleury-Mérogis, qui accueille 240 détenues prévenues ou condamnées dont près de sept sur dix travaillent ; et le Centre de Détention de Rennes, qui compte 190 condamnées à de longues peines dont six sur dix sont occupées. Cette recherche fait suite à une première enquête menée en 2005 dans cinq prisons pour hommes (pour courtes et longues peines).

L’enquête de terrain faite de recueil documentaire, d’observations des ateliers et d’entretiens auprès de détenues (n=41) et des personnels d’encadrement (n=19) est problématisée dans une perspective de sociologie du travail comparée nourrie des études sur le genre : analyser ce qu’est le travail des détenues en terme d’organisation de la production et de vécu du côté des femmes détenues, en le rapportant aux résultats trouvés auprès des hommes.

Les monographies des deux prisons décrivent les travaux productifs et les niveaux de salaire. À Fleury, trois ateliers occupent 85 détenues à des travaux manuels. La moyenne générale des salaires mensuels est de 147 €. À Rennes, plus de 80 détenues sont employées à des activités de couture, de conditionnement, de restauration d’archives audiovisuelles et dans un centre d’appels. Leur salaire moyen est de 387 €. Les emplois proposés en prison correspondent pour une large majorité à des emplois non-qualifiés ; alors qu’ils sont de même nature dans les prisons pour hommes et pour femmes (surtout dans les maisons d’arrêt), les salaires, eux, diffèrent. Dans les prisons pour longues peines, les moyennes comparées (2005 et 2010) font apparaître un écart compris entre 13% et 30% de salaire mensuel en faveur des hommes détenus. À la Maison d’arrêt de Fleury, en comparant les salaires 2010 des hommes et des femmes, une inégalité de 11% du salaire horaire, en défaveur des femmes, est constatée.

La division sexuée du travail se retrouve dans les formules naturalisantes utilisées par les contremaîtres à propos des femmes. Les qualificatifs de « minutieuse », « pointilleuse » sont vite associés à une docilité appréciée et opposée au comportement des détenus qui sont présentés comme n’écoutant pas les consignes et fautifs de plus de malfaçons que les femmes. La surveillance du « bavardage » est intégrée à la routine de l’encadrement bien davantage que dans les ateliers d’hommes. Ce qui était dicible pour quelques hommes détenus : « à la limite même si j’étais pas payé, j’irais travailler » ne se retrouve pas auprès des femmes. Le travail en soi et pour soi n’est jamais évoqué. Plus instrumental, il est davantage orienté vers l’extérieur que pour les hommes : toutes celles qui expliquent leur engagement dans le travail par un motif financier envoient de l’argent pour soutenir leur famille.

Pour simplifier, on peut dire qu’au niveau subjectif les hommes détenus s’inscrivent dans des relations binaires avec le travail : travail/occupation-normalisation ; tandis que les femmes détenues entretiennent des relations ternaires avec le travail qui sont très largement médiées par la famille (enfants, parents et conjoints) : travail/occupation-argent-normalisation/famille. Si les femmes détenues se distinguent des hommes par les raisons de leur engagement dans le travail, elles les rejoignent dans la dénonciation de leurs conditions de travail. La force de la critique dépend principalement du niveau de salaire. Les mots « esclavage » et « exploitation » sont très utilisés. La revendication d’une égalité salariale a plus souvent été rencontrée que parmi les hommes surtout au sujet du travail de ménage fait dans le cadre du service général ; les détenues considèrent que c’est un travail dur qu’il faudrait bien mieux rémunérer, revendication inexistante chez les hommes où cela est déconsidéré parce qu’assimilé à du « travail de femmes ». Un ensemble de données sont rassemblées sous la problématique du care, laquelle permet de présenter des pratiques de soin de soi, des activités de soin des autres et d’y inclure les situations de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les femmes détenues. Le poids de l’incarcération menace ces pratiques ; si bien qu’un ensemble d’actions visent à résister aux conséquences de l’incarcération sur les corps (contrôle du poids, coiffure, hygiène corporelle, discussions sur l’habillement, la beauté). Surtout, la séparation d’avec les enfants est source de souffrances. Mais le manque des proches et le fait de ne plus pouvoir s’occuper des autres ne sont pas le monopole des mères. L’inquiétude du devenir des frères et sœurs ou de l’état de santé des parents est largement partagée. Dans les discours des femmes détenues sur la douleur produite par l’absence des proches, aucune ne dit regretter les corvées domestiques ni les contraintes temporelles imposées par la disponibilité permanente pour les enfants ou les conjoints. Le travail domestique, invisibilisé par le travail salarié et disqualifié en tant que travail, n’est pas enchanté par celles qui le font. Mais il s’exprime autrement, non pas tant dans l’action que dans l’état : parce que le travail de care qu’elles souffrent de ne plus faire, correspond à un ensemble « d’états physiques ou mentaux et d’activités laborieuses » qui sont mis en récit à partir de ce que les femmes détenues ressentent et des socialisations sexuées qui les ont construites.