Les comparutions par visioconférence : la confrontation de deux mondes – Prison et tribunal

Auteur•rice•s

Christian LICOPPE, Laurence DUMOULIN

Publication

2013

Depuis une quinzaine d’années, la visioconférence n’a cessé de se développer pour équiper les activités juridictionnelles dans la justice française (Dumoulin & Licoppe, 2011), dans un contexte général de développement des technologies d’information et de communication pour les administrations et la justice (Contini & Lanzara, 2009). D’exceptions en expérimentations, la visioconférence est devenue objet et instrument de l’action publique (Lascoumes & Le Galès, 2005) et ce, selon une logique incrémentale (Lindbloom, 1959) que la sociologie de la traduction et de l’innovation (Callon, 1986 ; Akrich, Callon, Latour, 2006) permet bien de saisir (Dumoulin & Licoppe, 2010).

Cette recherche revient sur la période récente (2006-2012) de généralisation de la visioconférence orientée vers les comparutions à distance des personnes détenues. Dans un contexte de rationalisation accrue, la visioconférence est pensée comme pouvant contribuer à la réduction des escortes judiciaires. En quoi la présence d’un dispositif technologique qui suppose l’établissement d’une connexion ainsi que la collaboration à distance contribue-t-elle à recomposer les interactions judiciaires ? Cette question est particulièrement cruciale dans un contexte de forte hétérogénéité institutionnelle entre les salles d’audience et les contextes pénitentiaires, mis en connexion via la visioconférence. Il s’agit dans cette recherche d’analyser ce que les acteurs de la justice font de ce dispositif, comment ils se l’approprient, le domestiquent ou au contraire lui résistent mais aussi ce que cet objet technologique fait aux représentations, cadres cognitifs et pratiques de justice, et notamment aux droits de la défense. Ce travail sociologique propose une analyse empiriquement fondée de la visioconférence dans laquelle l’attention est portée à l’activité en tant que pratique saisissable et observable. Nous avons ainsi filmé de nombreuses audiences pour obtenir une petite centaine de cas examinés par les chambres de l’instruction de Rennes et Grenoble et une quarantaine de cas examinés par la COPMES de Rennes. À ce corpus vidéo s’ajoutent de nombreuses notes ethnographiques relatives à leur observation ainsi que des entretiens réalisés auprès de professionnels : essentiellement des magistrats et des avocats. Un travail sur traces et archives complète l’ensemble.

Le rapport est structuré en quatre chapitres :

  • Le premier présente l’état de l’art, la problématique, l’approche et les méthodes.
  • Un chapitre historique analyse ensuite l’évolution de la visioconférence, ses liens avec des politiques néo-managériales et les réactions qu’elle suscite dans le milieu judiciaire.
  • Le troisième chapitre propose une analyse globale des effets de la visioconférence sur le fonctionnement des audiences, à partir de plusieurs problématiques : la question des asymétries accrues par la visioconférence ; la routinisation de la visioconférence ; la visioconférence et la relation entre l’avocat de la défense et son client ; les situations de perturbations techniques.
  • Enfin dans le dernier chapitre, nous envisageons les comparutions à distance comme des performances multimédias où les nécessités d’un cadrage au sens photographique du terme sont bien davantage qu’une simple mise à l’écran, qui serait effectuée en toute neutralité : ils supposent des micro-arbitrages, des micro-choix qui engagent ensuite l’ensemble de l’activité.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Nouvelles technologies