Le procureur de la République n’est plus, ou plus seulement, la sentinelle de l’ordre public. Certes la vocation première du parquet n’a pas disparu : il reçoit et examine les plaintes et dénonciations; il dirige les investigations policières; il ouvre les informations judiciaires; il cite ou convoque devant les juridictions de jugement; il défend la loi à l’audience de jugement – donc soutient l’accusation ou bien y renonce plus ou moins explicitement lorsque la responsabilité pénale de la personne mise en cause ne lui semble finalement pas susceptible d’être retenue ; il pourvoit à l’exécution des peines, etc.
Cependant, cette activité répressive classique de la magistrature debout n’est plus exclusive ; les missions de cet « artisan de la répression » se sont diversifiées au gré d’impératifs auxquels la justice pénale était restée, jusque-là, insensible : la transparence, la célérité, l’immédiateté, l’efficacité, la proximité, la rentabilité, la productivité ont désormais investi le champ de la justice, et le procureur de la République est ainsi devenu la pierre angulaire d’une justice pénale moderne dans laquelle le ministère public contrôle moins qu’il n’administre et communique plus qu’il ne requiert. En d’autres termes, le procureur de la République n’a peut-être jamais autant mérité l’appellation de « chef de parquet » : il est à la tête d’une structure dont il assure la gestion.
Le champ d’intervention pénale du procureur de la République s’est en effet considérablement élargi. Cette extension concerne, pour l’essentiel, les prérogatives strictement répressives du ministère public. En moins de vingt ans, le procureur de la République est devenu, au fur et à mesure des réformes législatives le personnage central, le pivot du système répressif français. Cette omniprésence parquetière tient tout d’abord à la montée en puissance de la phase policière – et à la marginalisation corrélative du juge d’instruction: l’élucidation des affaires, la recherche de la vérité est aujourd’hui, à titre principal, le fait d’officiers et agents de police judiciaire, placés sous la direction du procureur de la République, dont les prérogatives coercitives ont été considérablement renforcées par le législateur et par la jurisprudence.
L’omniprésence du procureur de la République tient en outre au développement de ce qu’on peut appeler l’individualisation de la répression. A l’issue de l’enquête, s’ouvre la phase de poursuite ou plutôt d’orientation du dossier répressif. Quelles suites convient-il de donner à l’affaire telle que démêlée par la police judiciaire ? Jusqu’à une époque récente, cette question, qui relève de la compétence exclusive du parquet, s’entendait d’une alternative à deux branches: conformément à la règle prétorienne de l’opportunité des poursuites, soit le procureur classait le dossier sans suite, soit il en saisissait un magistrat du siège – le juge d’instruction en conséquence de l’ouverture d’une information judiciaire ou la juridiction de jugement. Cette logique binaire du tout ou rien a vécu. A partir du début des années quatre-vingt dix, il devenait impérieux de systématiser les « réponses répressives » tout en les personnalisant.
Néanmoins, comment expliquer cette focalisation des tensions sur le procureur de la République ? Comment expliquer la convergence de deux tendances à ce point antagonistes vers le même acteur institutionnel ?
Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Le métier de procureur