La prise en charge pénitentiaire des auteurs d’agressions sexuelles : un objet révélateur d’évolutions institutionnelles et professionnelles

Auteur•rice•s

Joséfina ALVAREZ, Nathalie GOURMELON

Publication

2009

Cette recherche fait suite à une étude réalisée en 2006 (1) pour le Ministère de la Justice : « La prise en charge pénitentiaire des AAS : état des lieux et analyse de nouvelles pratiques ». La méthodologie employée est qualitative : observation, réalisation d’entretiens – en France et au Canada – et recherche documentaire.

Deux voies d’analyses ont été choisies et constituent les deux parties de cette recherche : La première intitulée « La prise en charge sanitaire et sociale des auteurs d’agressions sexuelles : des évolutions croisées », s’attache à montrer les transformations en cours dans ces deux domaines de pratique, partant d’une perspective en terme de gestion des risques mise en lumière, ici, à travers la politique de santé mentale qui ouvre la voie à de nouvelles modalités de pratiques en matière de gestion d’un certain nombre de troubles comportementaux. Le soin se décale ainsi progressivement vers des techniques de type cognitivo-comportementalistes à visée de réadaptation sociale. La prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles hérite de ces évolutions d’autant plus portées ici que la figure de l’auteur d’agressions sexuelles fonctionne comme archétype de la dangerosité. Largement requis sur ces questions comme dans la légitimation de nouvelles pratiques, l’étranger (le Canada notamment) arrive ici à point nommé. Si des débats ont lieu actuellement sur la marche à suivre du côté de la psychiatrie en milieu pénitentiaire, l’inscription des soignants dans une logique de prévention de la récidive tend à s’accentuer. La prise en charge socio-éducative en milieu pénitentiaire témoigne à peu près des mêmes évolutions. Les Programmes de Prévention de la Récidive (PPR) analysés ici dans leur mise en place et leur première phase de déroulement empruntent pour une large part aux techniques comportementalistes. Mais ces dispositifs à vocation criminologique témoignent aussi, en creux, des limites de telles pratiques dont les visées, essentiellement pragmatiques, comblent mal un manque de réflexion et de problématisation générale sur la prise en charge de ces individus.

La deuxième partie de ce rapport, Le suivi socio-judiciaire : la prise en charge post-pénale des AAS à l’épreuve du terrain, aborde l’analyse de la politique pénale en matière de traitement des infractions sexuelles en prenant comme point de départ l’application de la loi du 17 juin 1998 qui créa le suivi socio-judiciaire (SSJ). Différentes lois ont été adoptées ces dernières années qui ont élargi chaque fois un peu plus le champ de compétence et le pouvoir de frappe du suivi-socio judiciaire. Néanmoins les statistiques nationales présentent le SSJ comme une mesure d’application limitée. Il a été prononcé seulement dans 11% des condamnations ou cela était possible et, malgré l’élargissement de son champ d’application à d’autres infractions, le SSJ représentent simplement 3.7% des peines prononcées en 2007. Notre analyse qualitative menée dans trois sites auprès des acteurs concernés (juges d’application des peines, travailleurs sociaux, médecins coordonnateurs, médecins traitants) apporte un éclairage sur les modalités d’application de ce dispositif par les professionnels, et leur ressenti quant aux transformations apportées dans l’exécution des peines. Une analyse du point de vue des agresseurs sexuels sur leur prise en charge (notamment en matière de SSJ) est également présentée ici. Elle se déploie autour de quatre thématiques principales : les affaires ; la détention ; la sortie de prison et le suivi post-pénal. Ces développements nous conduisent à une réflexion sur l’orientation de ce qui pourrait être appelé, suivant certaines approches, la « gouvernementalité de la délinquance sexuelle ». Deux perspectives en découlent. La première, le « droit pénal de l’ennemi » a fait débat ces dernières années notamment du côté des juristes allemands et hispanophones. La seconde, d’origine anglo-saxone et plus connue en France est celle de la « nouvelle pénologie ». Analyser ces deux perspectives à la lecture des récentes évolutions dans la politique relative aux infractions sexuelles et aux résultats de la recherche pouvait, de notre point de vue contribuer à mieux comprendre cette évolution ou, du moins, à se procurer d’autres clés d’interprétation.

————————————-

(1) – Alvarez J., Gourmelon N., La prise en charge pénitentiaire des auteurs d’agressions sexuelles, Paris, La documentation Française, 2007 (Étude réalisée financée par la Mission de recherche Droit et Justice)