La prévention de la récidive comme secteur de l’action institutionnelle : processus d’ajustements entre acteurs, normes et pratiques

Auteur•rice•s

Philip MILBURN, Ludovic JAMET

Publication

2013

Cette recherche fait suite à l’appel à projets lancé par la Mission de recherche Droit et Justice en juin 2011 portant sur les activités collectives et partenariales de prévention de la récidive. L’orientation des politiques pénales de ces 15 dernières années définit ainsi la prévention de la récidive, dans une perspective de « défense sociale » (Cartuyvels et al. 2010), comme un des objectifs prioritaires des peines prononcées. L’activité de prévention de la récidive a été promue comme mission prioritaire et finalité de l’action des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP) dans la circulaire n° 113 du 19 mars 2008 de la Direction de l’Administration Pénitentiaire relative aux missions et méthodes d’intervention de ces professionnels. Cette thématique est également présente depuis le début des années 2000 dans les différents textes de lois portant réforme à la juridiction de l’application des peines. Depuis une dizaine d’années, le secteur de l’insertion postpénale et de la probation a muté vers cet objectif de constituer un secteur spécifique d’action publique orienté vers « la prévention de la récidive ». L’objectif de cette recherche a été d’interroger la structuration et l’activité d’un tel secteur, en plaçant la profession de CPIP au centre de notre réflexion et en cherchant à comprendre comment s’opèrent entre les acteurs des arrangements en fonction des situations concrètes auxquels ils sont confrontés mais également, dans la durée de la pratique, comment des systèmes de référence éthiques et pratiques collectifs se définissent, en fonction des types de situation, des procédures ou des collaborations nécessaires.

La structuration d’un secteur d’action publique suppose la réalisation de différentes opérations qui ont constitué autant d’hypothèses de travail : 1) l’émergence d’un système de valeurs partagé par les différents partenaires,
2) la coordination des activités de chacun et la résolution d’éventuels conflits interinstitutionnels dans le cadre de dispositifs précis,
3) l’élaboration d’un cadre temporel de l’action permettant la bonne circulation des informations ainsi que la capacité de répondre à l’urgence et à l’imprévu,
4) l’implication des acteurs non institutionnels permettant aux détenus et aux sortants de prison, par le biais de dispositifs particuliers, le maintien ou la reprise des liens « hors-les-murs » carcéraux (famille, amis, emploi notamment).

Notre enquête a porté sur un territoire administratif de l’administration pénitentiaire (un département comportant un seul TGI) afin d’y réaliser une monographie. Des entretiens semi-directifs (une cinquantaine) ont donc été conduits auprès des principaux acteurs (CPIP, JAP, membres du parquet, personnel de surveillance, acteurs de la santé mentale). Ces entretiens ont permis de recueillir le regard réflexif que portent les acteurs sur leurs pratiques professionnelles, les conditions dans lesquelles elles se réalisent et sur les interrelations qu’ils nouent avec leurs partenaires. Le rapport se structure autour de deux parties. La première présente les principaux acteurs du secteur visé (magistrats, services d’insertion et de probation, établissements pénitentiaires, etc.) liés au contenu de l’activité de la « prévention de la récidive ». Cette présentation concerne tout autant l’organisation des différents services que les relations qu’ils entretiennent. Elle s’intéresse aussi à l’environnement élargi et évoque le développement des partenariats avec des acteurs extérieurs à la sphère judiciaire : collectivités, associations, services sociaux et d’insertion dans l’emploi, et secteur sanitaire. L’objectif de cette partie a été de questionner la mise en cohérence, au travers de différentes opérations d’adaptations et de réaménagements, entre l’objectif de prévention de la récidive qui a glissé d’une position périphérique à une place centrale dans leurs missions prescrites, et le cadre organisationnel dans lequel évoluent les acteurs. La seconde partie se consacre à l’examen détaillé et analytique de l’activité des services et des conseillers d’insertion et de probation, rapportée ensuite à la diversité des dispositifs qu’ils doivent animer. Celle-ci connaît en effet des transformations sensibles et est soumise à des turbulences qui sont décisives dans la constitution de ce secteur de l’action publique. Les activités des CPIP doivent animer concrètement différents dispositifs et leur donner du sens afin de structurer ce secteur émergeant autour de leurs missions. Seulement, l’empilement de ces dispositifs à la rationalité quelquefois contradictoire les oblige à devoir résoudre, dans leurs pratiques, des paradoxes ou des dilemmes qui menacent de les confronter à des apories.