La distinction associé / créancier à l’épreuve du risque. Analyse juridique appliquée au « private equity »

Auteur•rice•s

Jean-Christophe DUHAMEL, Romain BOFFA

Publication

2013

L’assomption du risque économique par le propriétaire du capital est un postulat de l’économie capitaliste. L’associé se distingue du prêteur de bas de bilan par sa plus grande exposition au risque. Plusieurs principes essentiels du droit des sociétés français, mais également des droits allemand et espagnol abordés dans cette recherche, corrèlent l’assomption du risque, à l’image de l’inexistence d’un droit subjectif de retrait, ou encore de l’obligation de contribution aux pertes… Toutefois, le droit français semble porter plus haut que ses homologues cet exigence.

Ainsi, tout au long du XXe siècle, la jurisprudence française a tenu une position très stricte à l’égard des mécanismes de promesse d’achat qui prémunissent contre le risque de dépréciation de la valeur des droits sociaux. Si la Cour de cassation a aujourd’hui libéralisé ses positions sur ce point, à l’inverse, elle témoigne à l’heure actuelle d’un fort autoritarisme sur la question de l’évaluation des droits sociaux à leur juste valeur. La possibilité pour un tiers estimateur, désigné par l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, de s’immiscer dans les dispositifs contractuels anticipant les cessions de droits sociaux, s’analyse comme la volonté de la Cour de cassation d’y faire régner une « police du prix ».

Cet état du droit positif peut être projeté sur la situation d’associés singuliers, les investisseurs en capital, professionnels du financement des PME en haut de bilan. Ces acteurs du constituent en effet le terreau d’une analyse fertile : leur horizon d’investissement nécessairement limité, mêlé à leurs objectifs de rentabilité, ne les expose-t-il pas particulièrement à la « police » de la juste valeur ? Deux méthodes ont été sollicitées pour répondre à cette question : l’analyse de la pratique juridique telle qu’elle figure dans les pactes d’actionnaires conclus à l’occasion d’opérations de financement, et le recueil de l’opinion des investisseurs sur leur propre relation au risque financier.

Au terme de cette démarche, il ressort que la probabilité d’une remise en cause des conventions de sortie de l’investisseur professionnel par un tiers estimateur est faible. La relation entretenue par les professionnels de ce secteur avec le risque est saine ; ils apparaissent largement prêts à lier leur sort à celui de l’entreprise financée en fonds propres. L’assurance de rentabilité passe uniquement par la souscription d’obligations convertibles en actions : lorsque l’investisseur ne souhaite pas prendre de risque, ou en tout cas ne prendre qu’un risque limité, il n’intervient donc pas en qualité d’associé, mais de prêteur. De tels engagements de bas de bilan traduisent bien l’état d’esprit des investisseurs ayant été observé au cours des entretiens : partager le risque de perte, sans exclure de bénéficier du profit tel qu’il découle des performances réelles et objectives de l’entreprise.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Remise en cause des concepts du droit des sociétés par les techniques de financement