La coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie. Aux sources d’un droit commun coutumier

Auteur•rice•s

Régis LAFARGUE

Publication

2001

L’expérience néo-calédonienne, à l’instar de celles menées dans les pays anglo-saxons voisins, participe de la fondation de nouveaux rapports dans une optique multiculturelle conciliant respect de l’égalité des individus et quête identitaire. Cette expérience a mis la norme constitutionnelle qui fonde la reconnaissance de l’altérité juridique et sociale – l’article 75 de la constitution – au cœur des règles devant réguler les rapports intercommunautaires. Cette norme ancienne qui reconnaît l’existence de deux statuts civils, a été complétée par la loi du 19 mars 1999 qui affirme l’égalité des statuts entre eux : désormais le droit coutumier régit tous les rapports de droit civil entre les personnes relevant du statut civil coutumier. Et le Code civil cesse d’être la norme de “référence” : tout au plus pourra-t-il parfois constituer vis-à-vis des personnes de statut coutumier le “droit supplétif” auquel on aura recours en cas de silence de la coutume. Cette expérience fait du juge civil le garant du dualisme juridique. Le juge judiciaire n’est pas seulement chargé d’appliquer le droit, mais aussi de trouver l’équilibre satisfaisant entre principes contradictoires. La composition même des juridictions civiles avec des “assesseurs coutumiers” (institués par l’ordonnance du 15 octobre 1982) obligatoirement présents chaque fois que le litige oppose des personnes de statut coutumier souligne la vocation du juge à créer ou adapter le Droit. Car, s’il est le garant des libertés individuelles, ce même juge doit sous peine de “déni de justice” servir un statut civil coutumier fondé sur un privilège de masculinité et un principe de primauté quasi-absolue du groupe (le clan) sur l’individu : soit deux concepts difficilement conciliables avec nos idéaux de liberté et d’égalité. A défaut d’un possible “métissage” des valeurs respectives des deux communautés, l’objectif est de parvenir à faire coexister tous ces droits dans le respect de la dignité de ceux qui les revendiquent. Un échec à assurer la “cohabitation” entre ces deux systèmes de valeur, conduirait à reprocher au système judiciaire de poursuivre un travail de sape des fondements de la société traditionnelle en relançant un processus d’acculturation. L’enjeu véritable est de traduire l’évolution possible de la société traditionnelle au contact des valeurs humanistes, sans succomber à la tentation d’un ethnocentrisme qui conduirait au bouleversement de la société autochtone. Traduisant cette optique d’accompagnement de l’évolution de la société traditionnelle et d’élaboration d’un ordre négocié et non plus imposé, les assesseurs coutumiers doivent, par leur présence, permettre aux juridictions de connaître le droit traditionnel afin de tenter de faire évoluer la coutume. La force de la jurisprudence étant de pouvoir doser et adapter, le renouveau de la coutume semble devoir passer par l’émergence progressive d’un droit qui, pour être à la fois coutumier et étatique, ne pourra qu’emprunter la forme d’une coutume judiciaire : une sorte de “common law à la française” – du moins, en ce qui concerne le Droit civil. Car la reconnaissance de l’altérité se heurte encore au principe d’unité du droit pénal. L’article 75 de la constitution exclut, implicitement, toute idée de statut pénal dérogatoire, qui remettrait en cause l’égalité formelle des citoyens devant la loi. Le principe d’unité du droit pénal constitue un défi supplémentaire pour qui cherche à découvrir au travers de ces règles une réelle cohérence.