Ethique et décision médicale : analyse sociologique et juridique du fonctionnement du « Comité de vigilance » d’un département de gynécologie-obstétrique de CHU

Auteur•rice•s

Claire NERINCK, Hélène GRANDJEAN

Publication

1998

Les possibilités du diagnostic anténatal ont beaucoup progressé au cours des dernières années, entraînant des modifications dans la pratique des interruptions dites “médicales” de grossesse (I.M.G) en cas d’anomalie fœtale (malformation ou anomalie chromosomique). Les progrès techniques concernent à la fois la qualité et la généralisation de la surveillance échographique de la grossesse et le développement des méthodes d’investigation invasives du fœtus (ponction du cordon, fœtoscopie), permettant de porter des diagnostics de plus en plus précis. Dans le même temps les possibilités médicamenteuses de déclenchement du travail avant terme (prostaglandines) ont permis d’envisager de réaliser des interruptions de grossesse quel que soit l’âge de la grossesse.

La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse précise que “l’interruption volontaire d’une grossesse peut être pratiquée à toute époque si deux médecins attestent, après examen et discussion, que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic”.

Dans la pratique médicale quotidienne, les principales difficultés d’application de cette loi sont liées aux deux points soulignés dans le texte de la loi.

L’interprétation de la “particulière gravité” de l’affection fœtale repose à la fois sur des critères objectifs (la réalité anatomique de la déficience, par exemple l’absence d’un membre) et des critères subjectifs (le désavantage lié à cette déficience). Sur ce point, les positions des médecins ne sont pas forcément homogènes et la demande des familles peut également être en opposition avec la décision médicale. De plus la notion de “curabilité” est souvent discutée; en effet, pour de nombreux cas la réparation de la déficience comporte un risque de séquelles dont la gravité est variable, ce qui conduit les experts à exprimer leur pronostic en termes de probabilités.

La loi indique en outre la possibilité de réaliser une interruption “à toute époque” et donc même à une période où le fœtus est viable sans intervention médicale (au-delà de 32 semaines). Or toutes les affections graves et incurables ne sont pas létales (trisomie 21, polymalformations des membres) et la découverte tardive d’une malformation n’est pas exceptionnelle.

Ce sont essentiellement ces deux types de difficultés qui ont conduit le département de gynécologie-obstétrique du CHU de Toulouse à mettre en place un “Comité de Vigilance”. Cette démarche substitue un collectif aux deux médecins à qui la loi confie la responsabilité de la décision d’interruption médicale de grossesse. Elle visait, en élargissant le partage des responsabilités, à mieux faire face à l’incertitude contenue dans les critères de gravité et d’incurabilité que la loi impose sans les définir.

La recherche que nous rapportons s’est attachée à l’observation des pratiques et à l’analyse du processus décisionnel d’un double point de vue : sociologique et juridique. Elle a été réalisée à partir de l’observation et de l’enregistrement pendant un an des réunions du Comité de Vigilance (8 réunions mensuelles sur des sujets généraux et 12 réunions ponctuelles de décision urgente) et à partir d’entretiens réalisés auprès de l’ensemble des membres du comité. Séances et entretiens, supports de l’analyse, ont été intégralement retranscrits.