D’un juge à l’autre. Les variations de pratiques de travail chez les juges des enfants

Auteur•rice•s

Anne PAILLET, Delphine SERRE

Publication

2013

Bien que les différentes façons d’exercer, d’un juge à l’autre, fassent partie des représentations habituelles existant à propos de la justice, rares sont les travaux de sciences sociales qui étudient les variations de pratiques de travail entre juges (un bilan de la littérature est présenté en introduction du rapport). Ce rapport se confronte à ce questionnement délicat : dans quelle mesure des variations de pratiques sont-elles observables entre juges et, si variations il y a, comment les expliquer ?

Le questionnement suppose d’abord d’étudier en détail la manière dont les juges travaillent au quotidien. C’est ce que nous entreprenons ici à propos des juges des enfants. Nous les avons suivis sur 5 terrains (4 tribunaux et 1 stage de formation continue) en combinant observations, entretiens, discussions informelles et analyse de dossiers. Ce travail de terrain visait à explorer leur travail depuis les scènes les plus connues jusqu’aux coulisses, et dans ses multiples tâches, des plus formalisées aux plus informelles. Cette approche, qui mobilisait plus systématiquement les réflexes de la sociologie du travail que ne le fait généralement la sociologie du droit, a permis de repérer plusieurs domaines de variations des pratiques d’un juge à l’autre. Même si ces variations, souvent fines, ne sont pas aisées à repérer, différents « pôles » de pratiques cohabitent (y compris au sein d’un même tribunal, et y compris face à des dossiers de types voisins). Nous approfondissons notamment les exemples des différentes façons de « travailler sur les enfants » en audience (chapitre 1) et des différentes façons de « travailler autour des écrits » (chapitre 2).

Le chapitre 3 examine ensuite les fondements de ces variations de pratiques, en articulant les effets des contextes d’exercice et ceux des trajectoires des juges. Les variations des formes organisationnelles selon les tribunaux sont ainsi prises en compte, puis l’accent est mis sur celles, plus fines, qui existent aussi d’un cabinet à l’autre au sein d’un même tribunal (un gros plan est fait sur « le travail d’organisation du cabinet » accompli par les juges, et sur l’importance des greffières et de leurs trajectoires pour ce travail). Un autre facteur de modulation des pratiques est ensuite abordé : les anciennetés (au pluriel, car jouent de manière combinée l’ancienneté dans le métier et le corps, celle dans la fonction, et celle dans le cabinet). Le chapitre détaille encore bien d’autres dimensions des trajectoires qui contribuent à spécifier les façons d’exercer. Certains écarts de pratiques sont, par exemple, à rapporter aux formes et contenus des carrières au sein de la magistrature. Les éventuels parcours professionnels antérieurs, et les divers parcours d’études associés, interviennent aussi. Les effets d’autres aspects des trajectoires, et leur articulation avec les dimensions précédentes, sont également examinés, parmi lesquels les effets des milieux sociaux d’origine, des inclinations politiques et syndicales, des anticipations de carrière, du genre. À propos de ces derniers, un développement détaillé est proposé, tant leur analyse exige prudence (compte tenu des représentations différentialistes existant au sujet des juges hommes et des juges femmes) et précision (la dimension genrée des trajectoires s’exerce par des médiations complexes et doit être abordée de manière contextualisée et constamment articulée avec les autres dimensions des trajectoires).

Le rapport se conclut sur des voies de prolongement, en particulier en direction d’une analyse quantitative, et plus frontale, des prises de décision. Une bibliographie est également proposée.