Droit et neurosciences

Auteur•rice•s

Victor GENEVES, Laura PIGNATEL

Publication

2016

La « décennie du cerveau » a marqué les années 1990-2000 et pour cause. Les neurosciences, qui sont définies comme l’étude de l’architecture et du fonctionnement des systèmes nerveux centraux et périphériques, sont désormais partout et elles connaissent un engouement spectaculaire. Qu’il s’agisse des États-Unis ou de l’Union européenne, de nombreux travaux de recherche ont été menés grâce à des financements publics et privés considérables. La multiplication des publications, des projets et réseaux de recherche ou bien encore le perfectionnement des techniques et méthodes neuroscientifiques témoignent du développement sans précédent des neurosciences.  À ce titre, le Humain brain project dirigé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne et soutenu par l’Union européenne puis la Brain initiative annoncée par la Maison Blanche sont deux projets qui marquent à eux seuls la croissance des neurosciences et leur importance aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. L’engouement pour la recherche en neurosciences est tel qu’il est désormais pratiquement impossible de recenser le nombre exact de projets de recherche intéressant le fonctionnement du système nerveux. Cette difficulté s’explique en partie du fait de la multiplication des méthodes neuroscientifiques, notamment des techniques d’imagerie cérébrale. L’électroencéphalographie (EEG), la magnétoencéphalographie (MEG), la tomographie par émission de positions (TEP Scan), ou bien encore les techniques d’imagerie par résonnance magnétique (IRM).  À ce titre, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est sans doute la technique de neuroimagerie qui, à l’heure actuelle, visualise le mieux l’activité du cerveau à partir de son métabolisme local. L’IRMf se distingue de l’IRM anatomique (IRMa) en ce qu’elle est une technique d’imagerie qui renseigne sur l’activité du cerveau et non pas seulement sa structure anatomique.  Mais contrairement aux idées reçues, l’IRMf ne permet pas de « voir le cerveau penser » : elle n’est qu’une mesure indirecte de l’activité neuronale. L’image obtenue n’est en effet que le résultat des variations de débit, de volume et d’oxygénation du sang mesurées au cours d’une tâche expérimentale. Si l’IRMf est aujourd’hui la technique d’imagerie cérébrale fonctionnelle qui bénéficie du plus grand intérêt de la part des chercheurs en ce qu’elle prétend être la technique pouvant détecter et lire le contenu de la « boîte noire », elle est également la technique qui nécessite la plus grande prudence dans l’interprétation de ses résultats.  Cet engouement pour l’IRMf et pour les neurosciences cognitives est à l’origine d’un véritable « boom » neuroscientifique qui se matérialise par la multiplication de disciplines et de réflexions neuroscientifiques. À l’heure actuelle, de nouveaux « neurosavoirs » apparaissent, à l’image de la neuro-économie, du neuromarketting, de la neurophilosophie, de la neuroesthétique, la neuroéthique, ou bien encore par exemple la neuropsychologie. Le neurodroit quant à lui, qui est la traduction du néologisme anglais « neurolaw », désigne ce nouveau champ de recherche consacré à la rencontre entre le droit et les neurosciences. Le neurodroit reflète à lui seul la place croissante qu’occupent les neurosciences dans la société. Nouveau champ de recherches à la mode, le neurodroit a fait ses débuts aux Etats-Unis et désormais, la majorité des publications sur ce sujet sont anglo-saxonnes et émanent de l’université de Vanderbilt, située à Nashville dans le Tennessee  et du « Research network on Law and Neuroscience » financé par la célèbre Mac Arthur Foundation. Ce réseau de recherches, dirigé par Owen D. Jones, professeur de droit et de sciences biologiques, est le premier à étudier spécifiquement la relation entre les données neuroscientifiques et le droit. Il réunit des chercheurs et praticiens en neurosciences, en psychologie, en psychiatrie, en philosophie ou en droit. À ses origines, le neurodroit est donc américain et surtout interdisciplinaire. Mais si au départ, le neurodroit était localisé aux Etats-Unis, il est aujourd’hui un phénomène qui se retrouve à l’échelle internationale. L’ouvrage de Tade Matthias Spranger, publié en 2012 et intitulé « International Neurolaw. A comparative analysis » est la preuve que le neurodroit gagne en visibilité mais que son traitement n’est pas le même dans tous les pays. Après une introduction sur les neurosciences et le droit, l’ouvrage traite de la situation en Australie, Amérique latine, États-Unis, Canada, mais aussi au Japon, en Finlande, en Allemagne, en Suisse ou bien encore en France. Il est intéressant de remarquer que l’ouvrage se termine par une conclusion sur le statut du neurodroit dans une comparaison internationale et que la majorité des auteurs ayant contribué à l’ouvrage sont des universitaires en droit, en biologie, ou en éthique et non pas des professeurs en neurosciences cognitives ou praticiens de cette discipline. De même, lorsque l’on étudie plus précisément les articles, il est intéressant de remarquer que dans un ouvrage consacré au « international neurolaw » le terme « neurolaw » n’apparaît que très rarement dans les intitulés des chapitres. L’association des termes « law » et « neuroscience » ou bien encore « neuroscientific knowledge » ou « neuroscientific research » y est préférée et d’ailleurs, le chapitre consacré au neurodroit aux Etats-Unis, écrit par Owen. D. Jones et Francis X. Shen s’intitule  « Law and neurosciences in the United States » et non pas « Neurolaw in the United States » comme on aurait pu s’y attendre. C’est un peu comme si le neurodroit avait plusieurs significations : le droit saisi par les neurosciences, les neurosciences saisies par le droit, le droit dans les neurosciences, les neurosciences dans le droit…etc.  Cette remarque vaut pour la France également puisque rares sont les publications concernant spécifiquement le neurodroit. Deux d’entre elles méritent toutefois l’attention. Le premier ouvrage « Neurosciences et droit pénal » d’une universitaire en droit s’intéresse à l’impact des neurosciences dans le droit pénal, comme si la partie la plus visible du neurodroit ne concernait que le droit pénal. Le deuxième intitulé « Le cerveau est-il coupable ? » réunit des praticiens, professeurs et chercheurs en médecine, en psychologie, en psychiatrie, en philosophie, en psychologie cognitive, en neurosciences qu’ils soient français, américains, anglais ou canadiens, comme si la volonté affichée était 4 celle de montrer que le « neurodroit » n’est pas que la rencontre entre le droit et les neurosciences, mais qu’il est un champ dynamique et interdiscplinaire.  Mais finalement, avant de se demander ce qu’est exactement ce « neurodroit », il est légitime de se demander comment et pourquoi cette relation entre les neurosciences et le droit. Sommes-nous en présence d’un nouveau paradigme « neuroscientifique » ou d’un simple effet de mode ?  Point de départ de cette réflexion sur le « neurodroit », il apparaît que dresser un état des connaissances existantes, à un moment donné, sur cette relation « droit et neurosciences » nous permettra de mieux comprendre cette émergence, pour ne pas dire, cette irruption du neurodroit. Or, l’étude comparative des littératures internationales et américaines d’une part (Partie I) confrontée à la situation française d’autre part (Partie II) permet de poser les bases, à l’heure actuelle, de cette relation entre le droit et les neurosciences.