Les dimensions genrées des violences contre les partenaires intimes : comprendre le sens des actes et le sens de la peine pour les auteurs afin de mieux prévenir et réduire ces violences

Auteur•rice•s

Éric MACÉ

Publication

Mar. 2024

Faisant le constat que la dimension genrée des violences contre partenaire intime ainsi que la question des masculinités constituaient un angle mort des recherches et des dispositifs de prise en charge des auteurs en France, la recherche GENVIPART avait pour objectif de décrire ces dimensions genrées afin de montrer qu’elles peuvent servir de point d’appui aux politiques judiciaires et socio-judiciaire de traitement institutionnel des auteurs de ces violences, notamment dans une perspective de réduction des récidives et de prévention précoce de ces conduites. Cette recherche interdisciplinaire (droit, démographie, sociologie) a pour matériaux une relecture historique du droit et de ses inflexions, une analyse du droit et des pratiques judiciaires contemporaines et de leurs contradictions et limites, une analyse des données d’enquêtes quantitatives en population générale, le recueil empirique et l’analyse de 167 dossiers du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation d’un département, de 72 dossiers d’alternative aux poursuites d’un tribunal judiciaire et de 22 entretiens avec des auteurs de violence. L’approche juridique montre un paradoxe : alors que pendant des millénaires ces violences ont été explicitement définies dans un cadre patriarcal, la dépatriarcalisation du droit a conduit à un aveuglement au genre, alors que les violences sont demeurées genrées. Pour autant ce n’est pas tant cet aspect qui semble poser des difficultés pour assurer la lutte contre les violences conjugales. Ce sont bien davantage les difficultés d’articulation du droit pénal et du droit civil, du fait de logiques et de temporalités différentes qui peuvent être relevées.
Cependant, cette dimension genrée non assumée revient dans les dispositifs de prise en charge sous une forme inversée : les auteurs se considèrent victimes des violences des femmes et d’un agenda médiatique et institutionnel féministe. L’approche démographique montre pourtant que cette pratique sociale essentiellement masculine est présente dans tous les milieux et dans toutes les classes d’âge. Il n’y a donc pas de « profil type » des auteurs de violences contre partenaire intime, même s’il existe des facteurs propices à leur aggravation : être peu diplômé, connaître des difficultés sociales permanentes (trajectoire sociale) ou conjoncturelles (chômage, arrêt maladie) ; boire ou se droguer, y compris de façon « festive » ; être un migrant ayant raté son intégration économique et sociale. Il ressort de l’analyse sociologique qu’il existe moins une typologie « d’hommes violents » qu’une combinatoire de logiques d’actions qui concernent potentiellement tous les hommes. La conclusion est également paradoxale : la violence masculine contre partenaire intime a pour ressort des masculinités d’autant plus toutes puissantes par le recours à la violence qu’elles sont débordées, contrariées, blessées par une perte de contrôle de soi et des relations, faisant de ce recours à la violence le signe d’une vulnérabilité face à des normes sociales et de genre qui supposent d’autres compétences relationnelles et d’autres formes d’identification que celles issues d’une socialisation masculine marquée par son héritage patriarcal.

English version – Résumé en anglais

Noting that the gendered dimension of intimate partner violence and the question of masculinities were a blind spot in research and in the mechanisms for dealing with perpetrators in France, the GENVIPART research aimed to describe these gendered dimensions in order to show that they can be used as a basis for judicial and socio-judicial policies for the institutional treatment of perpetrators of such violence, particularly with a view to reducing repeat offences and early prevention of such behaviour. This interdisciplinary research (law, demography, sociology) is based on a historical review of the law and its changes, an analysis of contemporary law and judicial practices and their contradictions and limitations, an analysis of quantitative survey data in the general population, the empirical collection and analysis of 167 files from the Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation in one departement, 72 alternative prosecution files from a judicial court and 22 interviews with perpetrators of violence. The legal approach reveals a paradox: while for thousands of years such violence was explicitly defined within a patriarchal framework, the depatriarchalisation of the law has led to a blindness to gender, while violence has remained gendered. However, it is not so much this aspect that seems to pose difficulties in combating domestic violence. Rather, it is the difficulties in linking criminal law and civil law, due to the different rationales and timeframes that can be identified. However, this unacknowledged gendered dimension reappears in the treatment systems in an inverted form: the perpetrators see themselves as victims of women’s violence and of a feminist media and institutional agenda. Yet the demographic approach shows that this essentially male social practice is present in all walks of life and in all age groups. So there is no « standard profile » for perpetrators of intimate partner violence, even if there are factors that are conducive to its escalation: having few qualifications, experiencing permanent social difficulties (social trajectory) or temporary difficulties (unemployment, sick leave); drinking or taking drugs, including « festive » drugs; being a migrant who has failed to integrate economically and socially. What emerges from the sociological analysis is that there is less a typology of « violent men » than a combination of patterns of action that potentially concern all men. The conclusion is also paradoxical: male violence against intimate partners is driven by masculinities that are all the more powerful for resorting to violence because they are overwhelmed, frustrated and wounded by a loss of control over themselves and their relationships, making this recourse to violence a sign of vulnerability in the face of social and gender norms that presuppose other relational skills and other forms of identification than those stemming from a male socialisation marked by its patriarchal heritage.