Autonomie des personnes âgées et mesures de protection juridique. Quelle place dans le champ médical pour la volonté des personnes âgées juridiquement protégées ?

Auteur•rice•s

Camille BOURDAIRE-MIGNOT, Tatiana GRUNDLER

Publication

Oct. 2023

L’autonomie individuelle – même avec sa part d’illusion – occupe une place centrale en droit puisque c’est l’expression de la volonté qui engage. Ainsi, dans le champ médical, recueillir le consentement du patient est une exigence éthique mais également légale. Cela étant posé, il peut s’avérer difficile dans certaines
situation s de vulnérabilité d’obtenir un consentement libre et éclairé de la part d’un patient et même de sonder sa volonté. Le droit identifie ainsi des personnes en situation de vulnérabilité en raison de leur âge (les mineurs) ou de l’altération de leurs facultés (les majeurs protégés). Dans le premier cas la volonté est
perçue comme immature quand elle apparaît dans la seconde hypothèse trop vacillante. Le droit contemporain de la protection juridique cherche cependant à concilier protection et autonomie, privilégiant l’accompagnement à la substitution.
L’ambition du présent travail scientifique (2021-2023) réunissant une équipe de chercheurs venus de différentes disciplines (droit sociologie, philosophie) et de praticiens (professionnels de santé, mandataires judiciaires et magistrats) a consisté à rechercher comment ce double mouvement d’autonomisation – de la
protection juridique et du droit de la santé – se concrétise ou non s’agissant des décisions médicales concernant des personnes âgées bénéficiant d’une mesure de protection.
Au regard de la complexité des règles applicables (en particulier l’article 459 du Code civil sur les décisions personnelles du majeur bénéficiant d’une mesure de représentation à la personne et l’article L1111-4 du Code de la santé publique sur le consentement aux soins et le refus), l’hypothèse a été formulée d’une
difficulté pour le médecin à prendre en compte la volonté d’un patient pour lequel il pourrait se tourner plus volontiers vers le protecteur.
Pour vérifier l’hypothèse, une enquête de terrain a été menée auprès des différents acteurs de la mesure – juges, professionnels de santé et mandataires judiciaires à la protection des majeurs – mais aussi des protégés, par des questionnaires et des entretiens.
Les données recueillies ont invalidé partiellement l’hypothèse initiale. Il est apparu en effet que les professionnels de santé interrogés restaient attentifs à la volonté de leurs patients âgés juridiquement protégés, y compris lorsque la mesure est la plus forte, à savoir une représentation à la personne. L’enquête a néanmoins révélé que le cadre juridique était méconnu, sous exploité et mal maîtrisé de sorte que le sujet âgé juridiquement protégé ne semble devoir le respect de son autonomie qu’aux réflexes et préoccupations éthiques des différents acteurs. Dans ces conditions, la position du patient âgé bénéficiant d’une mesure de protection apparaît fragile et menacée. Elle dépend du niveau de réflexion et d’engagement éthiques des professionnels, très variables d’une personne à l’autre (à cet égard, il convient de relever que les praticiens ayant accepté de participer à l’enquête sont des personnes a priori enclines à s’interroger sur leurs pratiques et donc vraisemblablement sensibilisées aux enjeux éthiques) et risque dans un proche avenir de souffrir de la dégradation des conditions d’exercice qui n’épargne aucun des corps de métiers considérés. Ces constats étayés ont conduit à proposer, d’une part, une clarification des textes juridiques afin de les rendre intelligibles pour que l’ensemble des acteurs – juristes ou non – puissent pleinement s’en emparer et, d’autre part, un projet de formation pluridisciplinaire et continue au profit des différents professionnels intervenant auprès du patient âgé juridiquement protégé. C’est toute l’ambition
prospective de cette recherche.

Résumé en anglais / English version

Individual autonomy, even with its share of illusion, occupies a central place in law since it is the expression of the will that binds. Thus, in the medical field, obtaining the patient’s consent is not only an ethical but also a legal requirement. That being said, it can be difficult in some situations of vulnerability to obtain free and informed consent from a patient and even to gauge his will. The law thus identifies people in a situation of vulnerability due to their age (minors) or the alteration of their faculties (protected adults). In the first case, the will is perceived as immature when it appears too vacillating in the second hypothesis. However, contemporary legal protection law seeks to reconcile protection and autonomy, favouring support over substitution. The ambition of this scientific work (2021-2023), bringing together a team of researchers from different disciplines (law, sociology, philosophy) and practitioners (health professionals, legal representatives and magistrates), consisted of researching how this double empowerment movement – of legal protection and health law – materialises or not with regard to medical decisions concerning elderly people benefiting from a protective measure. In view of the complexity of the applicable rules (in particular article 459 of the French Civil Code on the personal decisions of adults benefiting from a personal representation measure and article L1111-4 of the Public Health Code on consent to care and refusal), the hypothesis was formulated that it would be difficult for health professionals to take into account the wishes of a patient for whom he could turn more readily to the legal protector. To verify the hypothesis, a field survey was conducted with the various actors in the measure – judges, health professionals, and legal representatives for the protection of adults – as well as protected persons, through questionnaires and interviews. The data collected partially invalidated the initial hypothesis. It appeared, in fact, that the health professionals remained attentive to the wishes of their legally protected elderly patients, including when the measure was the strongest, namely when the patient was protected. Results nevertheless revealed that the legal framework was unknown, under-exploited, and poorly controlled, so that the elderly patient benefiting from a protective measure appears fragile and threatened. It depends on the level of reflection and ethical commitment of professionals, which vary greatly from one person to another (in this respect, it should be noted that the practitioners who agreed to take part in the survey are people who are a priori inclined to question their practices and therefore probably aware of ethical issues), and risks suffering in the near future from the deterioration of the conditions of exercise, which do not spare any of the trades considered. These substantiated findings have led to the proposal, on the one hand, of a clarification of the legal texts in order to make them intelligible so that all the actors, lawyers or not, can fully grasp them, and, on the other hand, of a multidisciplinary and continuous training project for the benefit of the various professionals, working with the legally protected elderly patient. This is the prospective ambition of this research.