Régulations professionnelles et pluralisme juridique : une analyse économique de la profession d’avocat

Auteur•rice•s

Sophie HARNAY

Publication

2013

L’objectif du rapport de recherche intitulé « Régulations professionnelles et pluralisme juridique : une analyse économique de la profession d’avocat » est d’analyser le pluralisme juridique à l’œuvre sur le marché des services juridiques produits par les avocats. Plusieurs modes régulatoires opèrent en effet sur ce marché, qui articule conjointement i) des règles de droit produites par les autorités publiques, sous la forme notamment de textes législatifs ii) des règles produites par auto-régulation, par laquelle les avocats produisent le droit s’appliquant aux membres de la profession et participent à sa mise en œuvre iii) une régulation marchande, souvent occultée dans les travaux juridiques sur la profession d’avocat et dont la montée en puissance, à l’heure actuelle, vient remettre en question les régulations professionnelles existantes régissant jusqu’alors l’activité d’avocat en France.

Notre hypothèse est que le pluralisme juridique est essentiel à la qualité des services juridiques produits par les avocats, compte tenu de leur nature spécifique et de leur hétérogénéité. Nous montrons ainsi que l’articulation d’une pluralité de régulations permet la production de services juridiques de qualité, adaptés à la demande et aux besoins des clients des avocats, et contribue ainsi à la qualité de l’État de droit. Le droit professionnel des avocats protège ainsi à la fois les consommateurs et les avocats. Plusieurs résultats essentiels sont obtenus au terme de quatre analyses successives.

Premièrement, l’auto-régulation de la profession d’avocat permet la production de services professionnels de qualité supérieure à celle qui serait obtenue avec un autre mode régulatoire (réglementation publique ou privée par des autorités extérieures à la profession ; mécanisme de marché), compte tenu des caractéristiques de bien de confiance de certains services produits par les avocats. En particulier, les gains individuels et collectifs associés à une bonne réputation collective de la profession incitent les avocats à produire des services juridiques de qualité, au bénéfice des consommateurs de ces services.

Deuxièmement, l’hétérogénéité des services juridiques justifie la pluralité des modes régulatoires. À un mode de régulation juridique, nous montrons qu’il correspond une catégorie de services juridiques, dont nous identifions les caractéristiques : chaque type de service juridique appelle un mode de régulation spécifique (marchand, auto-régulé) qui garantit la qualité de l’offre de services.

Troisièmement, ainsi qu’en témoigne notre étude – inédite à ce jour en France – du fonctionnement des instances disciplinaires de la profession, la discipline constitue bien un mode effectif de sanction de l’offre de services juridiques de faible qualité par les avocats, réprimant les manquements déontologiques commis par les avocats, à côté et en complément des justices civile et pénale qui, elles, sanctionnent leurs comportements à l’instar de ceux des autres citoyens. La justice disciplinaire participe donc de la production et du maintien de services juridiques de qualité élevée.

Quatrièmement, la réalité des logiques plurielles à l’œuvre dans la profession d’avocat est mise en évidence par notre analyse du droit européen et du droit français, qui montre que les difficultés actuelles en matière d’application du droit de la concurrence à la profession d’avocat sont la conséquence des tensions existant, aujourd’hui, entre les différents modes de régulation existant sur le marché des services juridiques.

Notre analyse comporte plusieurs implications importantes en termes de politique régulatoire de la profession d’avocat. Tout d’abord, elle implique qu’une réglementation – et plus particulièrement une auto-régulation – peut être nécessaire sur le marché des services juridiques fournis par les avocats. En ce sens, les recommandations de libéralisation générale du marché des services juridiques apparaissent infondées, au regard des défaillances importantes qui caractérisent ce marché, liées, en particulier, au problème de l’information des consommateurs. De plus, notre analyse montre qu’il n’est pas nécessaire de réglementer l’ensemble des services juridiques offerts par les avocats, de façon globale et indifférenciée. Au contraire, la réglementation de ces services ne saurait constituer qu’un mode particulier de régulation du marché des services juridiques, fonctionnant conjointement avec d’autres modes régulatoires, en fonction des caractéristiques de services juridiques marqués par leur hétérogénéité et la grande diversité des capacités d’évaluation de la qualité réelle des services par les clients. En définitive, notre analyse souligne qu’il est indispensable d’articuler conjointement dispositifs de marché et réglementations en vue d’une régulation optimale de la qualité des services juridiques. Sur chaque segment du marché, il convient donc de mettre en place une régulation adaptée aux caractéristiques des services échangés. À l’inverse, recourir à un mode de régulation unique, à l’exclusion de tous les autres, emporte des conséquences négatives sur la qualité des services. Aussi réglementer l’ensemble des services juridiques est-il porteur d’inefficacités sur certains segments du marché, dont l’ouverture à la concurrence engendrerait des gains en efficacité, sans coût en termes de qualité du service pour les clients. Symétriquement, sur d’autres segments du marché, rabattre la régulation des services juridiques sur un mode de régulation unique, exclusivement marchand, par une déréglementation complète et l’ouverture à la concurrence du marché, ne saurait se faire sans coût en termes de qualité et sans conséquence sur l’efficacité économique du système de régulation professionnelle.

Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : Ordres professionnels et autorités de régulation