Prendre la mesure de la judiciarisation. Un état international des savoirs et des modes de production des savoirs sur la justice

Auteur•rice•s

Laurence DUMOULIN, Jacques COMMAILLE

Publication

Juin. 2012

Cette recherche s’inscrit dans le prolongement d’un travail de recension de la littérature internationale portant sur le phénomène de « judiciarisation du politique »[1]. De cet inventaire était née une interrogation : n’y a-t-il pas un écart entre la réalité du phénomène et les discours dont il fait l’objet ? C’est autour de cette hypothèse qu’est construite la présente recherche. L’objectif en est de situer ces discours en faisant appel à des variables relatives à ceux qui les produisent, à la façon dont ils les développent et à leurs conditions de production.

Pour réaliser ce travail de déconstruction du phénomène de « judiciarisation » et, par conséquent, avancer dans la connaissance des spécificités de la production des analyses qu’il suscite, une démarche quantitative et qualitative a été entreprise.

La démarche quantitative – réalisée sur un corpus de 515 articles et ouvrages, publiés entre 1990 et 2012 en français et en anglais – a permis de montrer que, loin d’obéir à une dynamique autonome de la recherche, le phénomène de « judiciarisation du politique » résulte de l’influence de logiques multiples tenant notamment aux disciplines impliquées, aux pays engagés dans ce type de production de connaissance, à des contextes propres aux milieux académiques ou socio-politiques variant dans le temps, à des « entrées » différentes suivant les cultures scientifiques qui les privilégient plus ou moins.

La démarche qualitative – portant sur un « échantillon » des documents repérés – a confirmé que, plus qu’un concept, la « judiciarisation du politique » est une notion fourre-toutrelative, un « mot-valise » qui agrège une série d’éléments disparates. De façon complémentaire au volet quantitatif, cette approche qualitative a permis d’illustrer en quoi le succès de cette notion est effectivement en partie lié aux dispositions institutionnelles, culturelles et politiques de ses différents locuteurs et de leurs différents cadres d’action.

Une telle recherche sur un « objet » aussi riche d’enjeux extra-scientifiques ouvre des perspectives pour une sociologie de la production de connaissance sur le droit et la justice, plus généralement, pour une sociologie de la connaissance pour laquelle ce qui touche au droit se révèle, là aussi, particulièrement heuristique.

[1] Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés contemporaines », L’Année Sociologique, vol. 59, n° 1, 2009 p. 63 à 107.