Les magistrats entrés par une voie latérale

Auteur•rice•s

Florence AUDIER, Maya BACACHE, Eric MATHIAS

Publication

2013

Le recrutement des magistrats de l’ordre judiciaire s’effectue, pour l’essentiel, par concours, avec, outre une voie principale réservée aux étudiants, trois autres types de concours, aux faibles effectifs : ceux destinés aux fonctionnaires, ceux destinés aux juristes du privé expérimentés, ainsi que, plus ponctuellement, des concours exceptionnels ou complémentaires. D’autres modalités de recrutements sur titres consistent à intégrer directement des professionnels expérimentés, soit comme « auditeurs de justice », soit directement comme magistrats. Parmi les magistrats en activité dans l’ordre judiciaire, 26% sont entrés dans le corps par une voie dite « latérale », c’est-à-dire par une procédure autre que celle empruntée par les jeunes juristes au sortir des études, lorsqu’ils réussissent le premier concours d’entrée à l’ENM.

Cette recherche porte sur les enjeux attachés au recrutement des magistrats par ces diverses « voies latérales. Elle s’intéresse particulièrement aux carrières et itinéraires professionnels des magistrats recrutés selon ces procédures : en quoi sont-ils spécifiques et en quoi les magistrats attirés par cette carrière sont-ils distincts des jeunes juristes recrutés par le 1er concours ? Quelles sont leurs motivations et appréciations quant à leur carrière et leurs activités ? Les diverses filières d’accès au corps conservent-elles durablement des spécificités ? S’agit-il d’une diversification des profils répondant à ce que souhaitent les promoteurs les plus ardents de ces voies latérales supposées rapprocher la magistrature des justiciables ?

La méthodologie retenue est essentiellement statistique. Outre l’exploitation systématique des données disponibles, principalement administratives, nous avons procédé par entretiens et par enquête auto-administrée envoyée à tous les magistrats entrés par une voie latérale. Cette enquête a permis de préciser leurs cursus antérieurs, leurs motivations ainsi que leur jugement quant à l’attractivité de la profession. Elle a permis aussi de déterminer si le fait d’être entré après une expérience donc à un âge plus avancé que la plupart des collègues, demeure comme une singularité au sein des juridictions ou, au contraire, s’estompe avec le temps.

L’ensemble des éléments issus des bases de données et des enquêtes donne un tableau extrêmement riche qui décrit en détail la variété des parcours et des réalités.

Le corps de la magistrature exerce indubitablement une réelle attractivité (depuis 1972, 100 000 candidatures aux divers concours, dont 17% à un des concours latéraux). Une relative grande porosité existe entre les différentes voies d’accès à la profession, les candidats optant pour l’une ou l’autre en fonction des conditions, des opportunités et surtout du nombre de postes ouverts aux concours. Malgré le nombre élevé de candidats, les jurys laissent vacants nombre de postes offerts aux concours latéraux, qui sont reversés sur le 1er concours. Au total, près de 12% des présents aux épreuves du 1er concours et près de 18% de ceux présents aux autres concours ont été admis. La moitié de ces derniers sont des hommes, ce qui contribue à rééquilibrer une profession féminisée. Étant presque toujours issus de la fonction publique notamment judiciaire ou d’une profession libérale juridique, ils modifient par ailleurs peu l’homogénéité professionnelle du corps, d’autant que près de 40% d’entre eux ont suivi une scolarité complète à l’ENM. Ces magistrats, entrés plus âgés que leurs collègues, souffrent souvent d’un déficit d’ancienneté, qui les empêche d’accéder aux plus hautes fonctions hiérarchiques. Pourtant, leur motivation est très solide : la plupart ont muri le projet d’entrer dans la magistrature très tôt, ils ont souvent tenté un concours étudiant et reviennent par une voie latérale. L’attractivité de la magistrature réside selon eux dans les valeurs d’indépendance et de service public, mais aussi dans la variété et l’intérêt des tâches. Cependant, ils sont nombreux à mentionner des difficultés liées à la mobilité géographique et à la perte de revenus. S’ils sont globalement satisfaits de leur première affectation, on doit noter la montée d’une forte insatisfaction parmi les générations les plus récentes. Ils sont majoritaires à penser qu’entrer dans la magistrature par une voie latérale impacte négativement la carrière. Ce relatif désavantage serait non pas tant dû à une discrimination de leur pairs qu’à l’âge tardif d’entrée (déficit d’ancienneté) et à l’absence de reconnaissance et de prise en considération de l’expérience et des compétences antérieurement acquises.