Menée sur deux ans, la recherche éclaire la singularité des logiques et agencements professionnels et organisationnels qui ont pris forme au sein du secteur associatif habilité par la justice dans le cadre de la mise en œuvre des Centres éducatifs fermés (CEF), dans un contexte mouvant et fragile de recomposition du traitement de la délinquance juvénile. Partant de là, le projet initial vise à interroger les conditions de production de l’action éducative en milieu contraint.
Les Centres éducatifs fermés ont été créés par la loi du 9/9/2002 pour répondre aux exigences sécuritaires de la période politique et pour fournir un cadre de « sanction éducative » selon ses termes, à des mineurs qui commettent des infractions de manière répétitive et dont les prises en charge éducatives classiques n’ont pas permis d’infléchir le comportement. On peut voir que les CEF ne sont ni des prisons (contrairement aux EPM créés dans la même période), ni de simples foyers éducatifs, mais constituent plutôt un espace d’enfermement hybride qui soumet les mineurs à la double contrainte de la restriction de leurs libertés dans le présent et de l’obligation de participation à des activités pour préparer leur avenir. Parce qu’ils sont fondés sur une fermeture juridique et spatiale, non carcérale et sur une série de contraintes, la recherche interroge les effets de la clôture spatiale et mentale sur les jeunes et sur les personnels, en termes « d’institution totale » (Goffman). L’emprise exercée ici n’est pas absolue mais se module de différentes manières et des espaces intermédiaires accueillent des « adaptations secondaires » qui constituent autant de leviers pour les personnels pour développer l’action éducative et scolaire en marge des cadres institutionnels.
L’apport central de cette recherche rend ainsi compte de « l’ouverture dans la fermeture » et de la part cachée du travail éducatif réalisé dans un contexte contraint. De cette façon, elle permet de situer les agirs professionnels, moins dans une logique de professionnalisation classique que comme un processus d’apprentissage spontané et d’implication personnelle dans le travail. Processus au cours duquel les intervenants mobilisent des ressources propres et activent des ressorts d’action singuliers qui dépassent le cadre formel de l’intervention en CEF. Ce constat permet de considérer la professionnalité des personnels de CEF comme une invention du quotidien au sens que lui donne Michel De Certeau, à travers des arts de faire et des compétences qui naissent des stratégies d’ajustement des acteurs et des ruses et tactiques de l’opportunité. Sous ce prisme, l’analyse du « réel de l’activité » en CEF permet de saisir une organisation « clandestine » du travail où s’inventent des espaces à soi, indispensables au développement des pratiques et de la relation éducatives.
Enfin, cette recherche questionne à quel moment ces savoirs constitués par l’expérience, dans leurs dimensions relationnelle, identitaire et émotionnelle deviennent des ressources partagées et transversales. Sur ce point, si les savoirs d’expérience personnelle des salariés s’avèrent indispensables pour l’accompagnement des mineurs au quotidien et pour que ces derniers adoptent le mode de vie du CEF, il apparait que leur non-formalisation par une reconnaissance institutionnelle limite l’approche éducative dans sa pleine dimension pédagogique et experte. C’est donc à la question de la fabrication et de la stabilisation des collectifs de travail que cette recherche a conduit en dernière instance et à la façon dont ils peuvent ou non soutenir les ressorts d’action des intervenants, quand bien même ceux-ci s’inscrivent en marge du cadre. En effet, l’acte éducatif en CEF suppose une articulation entre des pratiques individuelles (les éducateurs accompagnant les jeunes au quotidien ou dans le suivi) et des régulations collectives formelles et informelles.
Pour mener à bien ce travail, la méthodologie d’ensemble s’appuie sur une démarche inductive dans une perspective de théorisation ancrée (grounded theory) qui recourt aux monographies de trois centres réalisées sous la forme d’immersion dans la vie des centres. Le collectif de recherche a mobilisé 8 chercheurs agissant en binôme.