Le projet de recherche est né d’une interrogation : qu’ont dit les membres de l’« École de Salamanque » à propos de la traite négrière transatlantique qui s’est mise en place au XVIe siècle ? Cette question semblait constituer un angle mort chez les juristes. En effet, tandis que les discussions sur la nature et le traitement des populations autochtones des Amériques sont bien connues, les réflexions des membres de la seconde scolastique sur la réduction des Africains en esclavage sont largement méconnues des juristes, y compris des spécialistes de droit international. Pourtant, ces réflexions sur la légitimité (ou non) de la traite négrière sont intéressantes à plusieurs titres. D’une part, elles permettent de complexifier l’image encore hagiographique de l’École de Salamanque, dont les membres les plus éminents sont souvent considérés comme ayant posé les premiers jalons du droit international public. Il s’avère en effet que l’élaboration d’un droit des gens (ius gentium) régissant les relations entre États souverains s’est faite de pair avec l’élaboration de règles de droit privé visant à réglementer moralement les pratiques commerciales rendues possibles par la conquête des Amériques. La question de la légitimité de la traite négrière semble se trouver à mi-chemin entre les règles de droit public (la guerre juste) et les règles de droit privé (le commerce). D’autre part, les réflexions de la seconde scolastique permettent de s’éloigner des vocabulaires des droits de l’homme et du trafic des êtres humains, aujourd’hui dominants pour « parler » de
l’esclavage, et de s’interroger sur les implications découlant de l’inscription de l’esclavage dans une pensée essentiellement économique, et plus précisément dans une économie morale. En cela, les écrits de l’École de Salamanque offrent un autre regard sur les notions de propriété et de liberté, lesquelles sont employées dans les débats contemporains relatifs à l’illégalité de l’esclavage.
L’objectif principal du projet de recherche était de faire la lumière sur la nature des réflexions faites par les membres de l’École de Salamanque sur la traite négrière transatlantique et de les situer dans le contexte social, géopolitique et économique des deux Empires Ibériques du XVIe siècle. Pour cela, nous avons cherché à insérer les réflexions des théologiens et juristes dans une histoire des idées juridiques. C’est en effet par le biais de trois concepts – à savoir : ius gentium, dominium et bellum iustum – que les membres de l’École de Salamanque ont évalué la légitimité de la traite négrière mise en place par les Portugais. L’originalité de ce projet de recherche tenait également à ce qu’il a englobé des sources primaires jusque-là peu examinées par les juristes en raison de la difficulté d’y accéder ou de les lire. Nous avons accédé à plusieurs documents inédits qui ont été traduits du latin au français. Nous avons décidé de verser d’autres documents non-traduits dans Nakala.
Nous avons montré que les justifications juridico-théologiques relatives à la traite négrière ont évolué dans le temps et dans l’espace. Tout d’abord, les textes rédigés évaluant la légitimité de l’esclavage africain se multiplient dans le dernier quart du siècle, lorsque la traite négrière de l’Angola vers le Brésil prend véritablement son essor. Les justifications juridico-théologiques évoluent également sous la plume des jésuites des centres portugais de Coimbra et d’Evora, en contact avec les missionnaires dans les
colonies. Si la notion de « guerre juste » est toujours invoquée pour justifier une partie de la réduction en esclavage des populations dans certaines régions d’Afrique, c’est le développement de la notion de dominium – et l’alliance ainsi créée entre le droit des biens et le droit des contrats – qui joue un rôle primordial dans la justification de la traite.
Qu’ont dit les membres de l’« École de Salamanque » à propos de la traite négrière transatlantique qui s’est mise en place au XVIe siècle ? A travers les discours des différents membres de la seconde scolastique, le rapport analyse la légitimité (ou non) de la traite négrière. Dans le contexte social, géopolitique et économique des deux Empires Ibériques du XVIe siècle, le rapport montre, d’une part, que l’élaboration d’un droit des gens (ius gentium) régissant les relations entre États souverains s’est faite de pair avec
l’élaboration de règles de droit privé visant à réglementer moralement les pratiques commerciales rendues possibles par la conquête des Amériques. La question de la légitimité de la traite négrière s’est trouvée à mi-chemin entre les règles de droit public (la guerre juste) et les règles de droit privé (le commerce) ; d’autre part, que les réflexions de la seconde scolastique s’éloignent du vocabulaire classique des droits de l’Homme et du trafic des êtres humains, aujourd’hui dominants pour « parler » de l’esclavage, et
interrogent les implications découlant de l’inscription de l’esclavage dans une pensée essentiellement économique, et plus précisément dans une économie morale. En cela, les écrits de l’École de Salamanque offrent un autre regard sur les notions de propriété et de liberté, lesquelles sont employées dans les débats contemporains relatifs à l’illégalité de l’esclavage.