Si le débat éthique pénètre aujourd’hui de nombreux champs de l’activité économique et sociale, il est un terrain qui a toujours été plus que les autres propice à la réflexion éthique : la relation médicale. En effet, de tout temps, le médecin, homme de savoir, a été appelé à prendre des décisions concernant la santé, la vie de son patient. Mais jusqu’alors, la réflexion éthique se confinait au colloque singulier médecin-patient, ce qui contraignait le praticien à opérer des choix en son « âme et conscience » mais aussi, dans une certaine mesure, par référence à la morale professionnelle. En effet, bien souvent, la règle juridique était soit inexistante, soit impuissante de par sa généralité à résoudre les problèmes auxquels le médecin était confronté dans l’exercice de son art.
Depuis, les progrès fulgurants de la biologie et de la médecine ont conféré au corps médical d’immenses pouvoirs sur la nature au point qu’il lui est aujourd’hui possible de fixer les seuils de la vie humaine. Ce développement des techniques médicales a ainsi permis à la réflexion éthique de prendre un nouvel essor et de dépasser le cadre strict de la relation médicale. C’est ainsi que l’on a assisté à l’émergence de comités d’éthique. Les premiers se sont créés spontanément sur « le terrain » dans les centres hospitaliers, d’une part, pour permettre à la recherche de se développer dans le respect de valeurs fondamentales, d’autre part, pour aider le médecin confronté à des cas cliniques complexes à choisir une solution humainement acceptable pour son patient. Mais l’acuité des problèmes moraux que soulèvent la recherche et la pratique médicale a rapidement incité les pouvoirs publics à créer au niveau national un comité consultatif d’éthique. Aussi et parce que les technosciences médicales ont une portée qui s’étend à l’ensemble de la communauté internationale, certaines organisations internationales se sont dotées d’organes chargés d’édicter des principes universels en matière de bioéthique. Parallèlement, les pouvoirs publics, conscients des dangers que les nouvelles techniques médicales font peser sur les libertés individuelles et la dignité humaine, ont fait preuve d’un plus grand interventionnisme qui s’est traduit notamment par l’adoption des lois dites de «bioéthique» en juillet 1994.
Au regard de cette évolution, il peut être observé que, d’une part, plusieurs normes, qu’il s’agisse de l’éthique, de la déontologie ou du droit, sont susceptibles d’encadrer l’activité médicale et que, d’autre part, un glissement de l’éthique vers le droit s’opère de façon significative du fait d’un plus grand interventionnisme étatique et du développement d’une activité juridictionnelle en matière biomédicale. De ce constat, découlent alors deux séries de questions :
– Quelle est la valeur des normes édictées par les comités d’éthique? Et quelle assise ces instances méritent-elles de se voir reconnaître ?
– Comment le passage de l’éthique au droit a-t-il pu se produire et s’avère-t-il judicieux ?
Autrement dit, le respect de la personne et de sa dignité doit-il être imposé au médecin par un corpus de règles de droit ou devrait-il relever simplement de sa conscience personnelle ? Finalement, ne devrait-on pas promouvoir un modèle intégré où l’éthique, la déontologie et le droit auraient l’intérêt de se conjuguer pour réguler la profession médicale ?
Un examen attentif du fonctionnement actuel des Comités d’éthique Régionaux et Internationaux a permis de démontrer l’existence d’une réelle activité normative. S’agissant des Comités Régionaux d’éthique, il apparaît que les normes dégagées, bien que dépourvues de force obligatoire, exercent néanmoins une influence incontestable dans la pratique médicale. L’intérêt que l’on peut dès lors attacher à ces instances parait indéniable et devrait conduire à privilégier une reconnaissance juridique minimale. En revanche, l’émergence des comités internationaux s’explique par la nécessité d’élaborer des instruments internationaux en bioéthique. Ces instances internationales ne s’apparentent donc pas exactement aux comités d’éthique traditionnels. Une analyse exhaustive de ces comités situés à des niveaux d’intervention très différents (régional et international) a été envisagée (I). Mais l’étude méritait d’être poursuivie par celle du passage de l’éthique (simple réflexion) à la règle juridique. Ce travail reposait non seulement sur les enseignements tirés de l’étude sur l’activité des comités régionaux et des comités internationaux mais aussi sur un examen du rôle du Comité Consultatif National d’Éthique sur la législation, de la déontologie médicale. L’imbrication des normes éthique, déontologique et juridique a été mise en exergue ce qui permet finalement de croire à la nécessité de les combiner pour permettre une meilleure régulation de la profession médicale (II).