Les juristes qui s’intéressent à la justice internationale et à la lutte contre l’impunité tournent de plus en plus souvent leurs regards vers « le local », lieu où mesurer des « impacts », lieu aussi de « pratiques culturelles » à articuler avec des normes globales ; en même temps, anthropologues, sociologues et économistes s’intéressent à de « nouvelles guerres », dont les civils sont les principales victimes, et des historiens s’appuient sur des sources judiciaires et débattent des rapports entre vérité historique et vérité judiciaire.
S’adressant en priorité aux premiers, aux seconds aussi, cette recherche se concentre sur les relations entre formes de la guerre et épreuves judiciaires et entend montrer en entrant dans les procès contemporains à partir de la distinction entre « civils » et « combattants » comment leurs acteurs sont confrontés à une corrélation entre débordements d’empirie et incertitudes normatives et judiciaires.
Trois séries d’opérations judiciaires, les unes propres à la justice (comme fonder, ou juger), les autres attestant au contraire qu’entre vérité historique et vérité judiciaire la différence est d’objets plus que de méthodes, sont ainsi décrites en situation. Pour saisir ces opérations en situation, la recherche développe une ethnographie pragmatique, privilégiant la description fine de scènes, d’actes et de séquences d’action violente et de travail judiciaire. Elle s’appuie en particulier sur le suivi d’un procès de la Cour pénale internationale relatif à la situation en Ituri, nord-est de la République démocratique du Congo, procès restitué de façon à inviter le lecteur à s’installer en position de public pour observer opérations, dispositifs et travail de preuve et de compréhension et éprouver lui-même la difficulté de juger (III). Outre l’évocation de divers procès et décisions, elle s’appuie aussi directement sur l’analyse d’opérations judiciaires dans deux autres situations : fonder, dévoiler et nommer, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à travers des procès relatifs au nettoyage ethnique, politique visant des civils sous couvert de guerre et mise en œuvre via l’organisation d’une participation sociale décisive, certains « combattants » étant eux-mêmes « civils » (I) ; interpréter, définir, attribuer, à la Cour spéciale pour la Sierra Leone et à travers ses procès autour de l’histoire qui visent à embrasser les crimes commis par les groupes armés, le principal étant constitué de captifs (II). Contre un certain relativisme, la conclusion explique en quoi consiste la « distance » attribuée à la justice internationale contemporaine et en quoi elle est historiquement spécifique ; avançant l’hypothèse de crises d’impartialité et appelant à honorer la publicité des procès, elle envisage ce que pourrait être une critique du jugement.