Le projet Big data Drop It s’est attaché à évaluer l’intérêt et l’impact potentiels de l’introduction du numérique et plus spécifiquement de l’intelligence artificielle (IA) en médecine légale du vivant par des méthodes mixtes.
Le projet a été l’occasion d’entendre trente magistrats français, de profils variés, sur la question, d’une part, de l’utilisation des certificats médicaux avec incapacité totale de travail (ITT), et d’autre part, sur leurs représentations et compréhensions du numérique et de l’intelligence artificielle dans le cadre de l’aide à la décision en matière d’ITT.
On y apprend que le certificat médical délivré par le médecin légiste, s’il suscite régulièrement des interrogations de la part des magistrats, qui ne s’expliquent pas toujours une variabilité apparente et importante en matière de conclusions et d’ITT, n’est jamais directement remis en cause. Il est une pièce matérialisant la parole des plaignants. Les magistrats interrogés souhaiteraient que les documents soient les plus circonstanciés, clairs et argumentés possibles, en particulier sur le versant psychologique.
La culture numérique des magistrats interrogés ne les prépare à ce jour pas à une utilisation suffisamment éclairée de ces outils. Leur relation à l’IA apparaît ambivalente, entre fatalisme, opportunités de marge de manœuvre dans leur raisonnement et décision et méfiance. La question du remplacement, d’abord des médecins, puis d’autres acteurs impliqués dans la chaîne judiciaire jusqu’à eux-mêmes, par des algorithmes pour des tâches éminemment humaines mais nécessitant des ressources chaque jour plus insuffisantes en pratique, est omniprésente.
Le projet a été aussi l’occasion de contribuer significativement à la structuration des outils numériques à destination de la médecine légale, dans une optique double de mise à disposition d’un outil pour la pratique courante qui soit standardisé, de qualité industrielle et dédié à cette pratique et d’outils facilitant la recherche multicentrique classique ou impliquant l’IA et les « nouvelles » méthodes numériques. Le réseau ORFéAD – Outils et réseau pour la fédération, l’analyse et l’utilisation des données en médecine légale – a pu continuer à émerger et à s’orienter vers un dispositif sociotechnique pérenne. Ce dispositif repose un ensemble d’outils permettant la fédération de documents médicaux issus d’une douzaine de centres de médecine légale, et l’extraction des données à partir de ces documents médicaux. En résulte une base de données homogène regroupant les données des douze centres, qui peuvent être analysées via la plateforme sécurisée Spe3dLab.
Ces deux initiatives convergent vers l’idée d’une harmonisation sinon des pratiques, au moins du recueil de données permettant d’analyser les pratiques en matière d’ITT. Plusieurs projets ont d’ores et déjà débuté, sur la base de ce réseau, contribuant à son développement, sa visibilité et sa valorisation interdisciplinaire.
Enfin, le projet a permis d’explorer de premiers modèles d’algorithmes d’aide à la décision en matière d’ITT, sur la base des données recueillies par le réseau ORFéAD. Ces premiers algorithmes, qui restent à étudier plus en détail, sont riches d’enseignements et apportent des informations précieuses pour le futur.
Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : AO Droit, justice et numérique