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Résidences Adamas 2022 : « Être libre pour penser loin »

Chaque année, les lauréats·es des prix Carbonnier et Vendôme sont invité·es par l’IERDJ à participer aux résidences Adamas du Centre culturel de Goutelas (Région Auvergne-Rhône-Alpes), programme européen de résidences pour chercheurs et chercheuses en partenariat avec le Conseil constitutionnel, l’Académie internationale des principes de Nuremberg et l’Association Internationale de Droit Économique. Anne-Sophie de Lamarzelle et Sarah Albertin, responsables scientifiques et de programme de l’IERDJ racontent les dernières résidences qui ont eu lieu du 9 au 18 septembre 2022 avec les lauréats.

Pour voir la boussole en fonctionnement cliquer ici

Les résidences Adamas, c’est un magnifique espace de rencontres entre juristes et artistes qui partagent une caractéristique commune : la volonté de créer. C’était un honneur de vivre une expérience si enrichissante et d’y bénéficier du calme et
de la sérénité bien utiles
à la poursuite de
mes recherches.

Mona Giacometti

Cette semaine a été magique : une vraie aventure intellectuelle mais aussi et surtout humaine. Une réelle respiration.

Camille Aynes
Résidences Adamas
Depuis la création des résidences Adamas en 2021, l’IERDJ participe
à ces séjours hors du commun pour les jeunes chercheurs en droit qui,
à l’image des résidences d’artistes,
se retrouvent pour échanger et travailler à la réalisation d’un projet personnel. 
Dans le cadre du partenariat avec
le Centre culturel de Goutelas, l’Institut permet en effet aux lauréats des prix de thèse Vendôme et Jean Carbonnier d’être accueillis dans ce lieu exceptionnel qui, depuis sa création, fait une place particulière au droit et aux juristes. 
En parfaite adéquation avec la vision et les missions de l’IERDJ,
les résidence Adamas proposent
de replacer le droit au cœur de
la philosophie humaniste et de
le confronter aux autres sciences humaines, ainsi qu’aux pratiques culturelles et artistiques à travers
des rencontres interdisciplinaires,
des conférences, des expositions…
et finalement de rendre au droit
sa force créatrice.  

« Être libre pour penser loin », c’est ainsi que l’un des participants aux résidences Adamas, résidences européennes pour chercheurs en droit, résume son séjour au Centre culturel régional de Goutelas situé à quelques kilomètres de Montbrison dans la Loire.  

Si en arrivant de nuit, l’hôte peut d’abord être effrayé par les murs austères des larges bâtiments perdus au milieu de nulle-part, très vite, après quelques mètres parcourus d’un pas hésitant sur le gravier obscurci par l’heure tardive, le voilà complètement rassuré par les éclats de rire qui jaillissent de la terrasse. En s’approchant,
il découvre, autour d’une table en bois éclairée d’une guirlande de lampions multicolores, six juristes, quatre musiciens, un écrivain et un plasticien se dévoilant mutuellement leurs projets.  

Unanimement habités de l’envie de raconter le monde, leur entente est évidente. Pour les uns, il s’agit de livrer l’histoire des “satellites zombies” dont le murmure se perd dans l’espace, pour les autres, d’écouter le vivant, oiseaux, végétaux et humains qui respirent autour de nous, pour les derniers, de tendre l’oreille vers les bruits de la société pour inviter les règles de droit à s’y adapter.  

Les frontières entre les disciplines disparaissent. Dans la parenthèse protectrice et féconde offerte par le château, tous cherchent, soulèvent des questions, trouvent des pistes de réponse, échafaudent des hypothèses, en un mot font œuvre de création. Comme le rapportent plusieurs d’entre eux « ici, on se met les pieds sous la table et il n’y a rien à penser. On peut se poser ».   

Grâce à cette rupture avec le quotidien, ils se réapproprient le temps et le miracle advient : la pensée se fait complètement libre, tout juste guidée par l’histoire humaniste des lieux et la Boussole des possibles, imaginée par la juriste Mireille Delmas-Marty et le sculpteur Antonio Beninca.  À l’entrée du château, les branches de cette œuvre d’art vibrent délicatement avec le vent et proposent en silence d’orienter nos sociétés mondialisées et fragilisées vers une gouvernance qui les stabilise sans les immobiliser et les pacifie sans les uniformiser. 

Il ne fait aucun doute que ce message est source d’inspiration. Durant la journée, les résidents s’installent dans la salle du Grand juge – en référence au juge Papon, propriétaire des lieux à la Renaissance – où l’ambiance se fait studieuse : l’écran des ordinateurs s’allume et les touches des claviers s’agitent, répondant à la vocation des résidences Adamas d’explorer les enjeux contemporains du droit. Chacun se replonge dans ses sujets d’étude pour les expliciter ou les prolonger.   

Ainsi, Mona Giacometti, lauréate en 2021 du prix de thèse Vendôme décerné par le ministère de la Justice et l’IERDJ, propose-t-elle un nouveau modèle de souveraineté des Etats, compatible avec la dématérialisation et la mondialisation des échanges. Camille Aynès, qui a reçu la mention spéciale du prix Vendôme, dessine, elle, une figure inédite et moderne du citoyen, tandis que Rym Fassi Fihri, lauréate 2022 du prix de thèse du Conseil Constitutionnel, met en évidence les enjeux liés aux droits et libertés du numérique. Enfin, Enguerrand Marique et Pierre Michel, lauréats ex-aequo du prix de thèse décerné par l’AIDE (Association internationale de Droit économique), étudient, pour l’un, les conditions de la confiance dans les plateformes digitales et, pour l’autre, la prise en compte, par le droit, du concept sociopolitique de genre.   

Dans la salle du Grand juge, chacun se nourrit des approches et matières de l’autre et retiendra de ces rencontres au château de Goutelas, qu’elles ont permis des discussions particulièrement riches, à l’image de celle qui s’est tenue lors du séminaire de clôture.   

Devant Grégory Diguet, directeur du château, Myriam Plet, avocate honoraire et présidente du château de Goutelas, Olivier Leclerc, directeur de recherche au CNRS et vice-président du château, Antoine Jeammaud, professeur de droit honoraire à l’Université Lumière-Lyon 2, et Régis de Jorna, magistrat honoraire, mais aussi plusieurs universitaires, magistrats, avocats et membres de l’équipe de Goutelas, les cinq chercheurs ont montré combien leurs réflexions nourrissent la conception du droit et sa pratique.   

Au fil des prises de paroles, dans la pure tradition de Goutelas de débattre de questions d’actualité en marge du champ académique, ont été examinés les apports de la recherche à la doctrine mais aussi à la pratique, aboutissant à la conclusion partagée d’un impérieux besoin de développer les échanges entre chercheurs, universitaires et praticiens. L’IERDJ, dont c’est précisément l’une des missions, voit ainsi mis en lumière le caractère indispensable de ses publications, colloques, rencontres ou autres événements, qui permettent de croiser les expériences et les savoirs.   

Discrètement, les artistes en résidence sont venus prendre place autour de la table, ne perdant pas une miette de ce séminaire parfois technique dont ils envisagent peut-être déjà une traduction artistique. Lucide, l’un d’eux, voix chaude et geste rond, souligne l’évidence : « il ne viendrait à personne l’idée de questionner l’utilité de la recherche pour la médecine. C’est la même chose pour le droit : puisque la société est vivante, il l’est aussi et comme tout corps vivant, il a besoin de la recherche pour évoluer et exister ».   

La parenthèse aura duré dix jours. Au moment de se séparer, on se promet de poursuivre ce qui a commencé à émerger ici. Par-delà les branches académiques du droit qui répugnent parfois à se rejoindre, enjambant les frontières entre disciplines juridiques ou artistiques, une envie est née : celle de prolonger l’esprit de Goutelas, de laisser agir la pensée pour créer, ensemble, de nouveaux horizons.  

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