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L’activité de conciliation civile en France : un rôle essentiel dans la résolution des litiges et des conflits

L’activité de conciliation civile en France joue un rôle essentiel dans la résolution des litiges et des conflits entre les parties en évitant un recours systématique aux tribunaux. On observe un essor considérable de cette pratique depuis 2010, avec une accélération du phénomène à partir de 2016, sous l’impulsion de la Loi de modernisation de la justice rendant obligatoire la conciliation préalable au procès. Dans cette optique, la recherche « Production et performance de l’activité de conciliation civile en France (2-PAC) » enrichit la connaissance de l’activité de conciliation civile en France, grâce à son approche inédite : à la fois qualitative, quantitative et expérimentale. Rencontre avec les deux chercheurs : Mathieu Belarouci et Nicolas Vaillant.

Mathieu Belarouci, chargé de recherche à l’Institut catholique de Lille

La méthode par enveloppement des données (DEA) permet de dépasser les limites liées à l’usage des indicateurs de durée des affaires et de taux de résolution, qui sont usuellement retenus par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) pour évaluer l’efficacité des tribunaux.

Mathieu Belarouci et Nicolas Vaillant

Le développement de l’offre de formations aux conciliateurs et l’homogénéisation des conditions d’exercice par la mise à disposition systématique d’outils informatiques et de télécommunication sont des leviers simples qui permettraient une amélioration considérable du bon déroulement des conciliations.

Mathieu Belarouci et Nicolas Vaillant
Nicolas Vaillant, vice-président vice-recteur ‘Recherche’ à l’université catholique de Lille. ©Estelle Carlier

Au regard de votre recherche, quels sont les défis et les limites de l’activité de conciliation civile que vous avez pu observer ?

Le principal enjeu qui entoure le développement de la conciliation civile est d’alléger le fonctionnement des tribunaux, en sortant du champ judiciaire des litiges qui ne justifient pas nécessairement l’intervention d’un juge. Les conciliateurs participent ainsi au désengorgement des tribunaux, à la réduction de la durée des affaires et donc au coût de fonctionnement de la justice. À ce titre, la conciliation demeure un dispositif efficace. En 2019, le taux de résolution moyen en conciliation était de 48,7 %. Notons de plus que 32 % des affaires restent sans-suite, ce qui suggère que l’activité de conciliation civile joue bien un rôle de filtre. Un autre enjeu est le rôle de proximité légale et géographique aux citoyens, car la conciliation est souvent le premier guichet d’accès à la justice.

Du point de vue des conciliateurs, leur adaptation aux réformes de la justice qui ont rendu la conciliation obligatoire préalablement au procès, constitue le principal défi à relever. La première conséquence de ces réformes a été une augmentation des saisines de 32 %, partiellement absorbée par une vague de recrutement des conciliateurs en 2018. Toutefois, la fonction peine à se renouveler, l’âge moyen des conciliateurs étant de 69 ans en 2019. Parallèlement, les affaires à traiter par les conciliateurs sont de plus en plus complexes et l’activité requiert davantage de maîtrise des outils numériques que par le passé. Les conciliateurs doivent aussi s’adapter à la présence de nouveaux acteurs, en particulier des avocats, qui de leur point de vue interfèrent souvent négativement dans le déroulement des conciliations.

Vous mobilisez la méthode par enveloppement des données. Quels sont les mérites de cette approche pour étudier la performance de l’activité de conciliation civile ? Quels en sont les enseignements (ou conclusions) ?

La méthode par enveloppement des données (DEA) permet de dépasser les limites liées à l’usage des indicateurs de durée des affaires et de taux de résolution, qui sont usuellement retenus par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) pour évaluer l’efficacité des tribunaux. Ces indicateurs sont utilisés en vue de rationaliser le coût et améliorer le service public de la justice. Pourtant, considérer ces deux indicateurs indépendamment l’un de l’autre présente deux inconvénients. D’abord, cela élude la complexité des objectifs, ce qui peut induire des effets négatifs sur la qualité des décisions de justice. Plus précisément, chercher à ce que les tribunaux traitent un maximum d’affaires en un minimum de temps expose au risque de rendre des décisions de justice insatisfaisantes. Une des conséquences serait le réenrôlement des affaires dans des juridictions supérieures, comme l’appel, ce qui au global augmenterait plus encore le coût du fonctionnement de la justice et la durée des affaires. Il est donc impératif de considérer de façon conjointe la résolution durable des affaires et une durée raisonnable associée au traitement.

Le second inconvénient est que ces indicateurs ne tiennent pas compte des moyens à disposition des magistrats pour assurer leurs missions, ni des caractéristiques sociodémographiques des juridictions. Hors contexte, durée et taux de résolution ne permettent pas de différencier clairement les juridictions les plus performantes, dont il conviendrait de s’inspirer, de celles en difficultés qui nécessite une attention particulière.

La méthode DEA développées dans 2-PAC permet de surmonter ces deux écueils. D’une part, elle permet de concilier ces objectifs en mesurant la durée moyenne optimale des affaires favorisant la résolution durable du différend. D’autre part, elle fournit une évaluation par comparable des tribunaux de sorte que les analyses tiennent compte des différences de dotations en ressources. Nos résultats ont permis de mettre en évidence qu’un délai incompressible de 2 à 3 visites de conciliation par cas est nécessaire pour aboutir à l’accord entre les parties. L’analyse des déterminants de la performance ainsi mesurée a permis d’isoler que l’intégration des conciliateurs au circuit judiciaire, le volume et la durée des affaires traitées par les juges et les caractéristiques personnelles des conciliateurs (expérience et profession d’origine) favorisent l’efficacité de la conciliation.

Quelles pourraient être les pistes d’amélioration de l’activité de conciliation civile en vue de répondre mieux aux besoins des parties impliquées dans un conflit ?

Les pistes d’amélioration se trouvent dans l’adaptation des conciliateurs à la massification du recours à la conciliation et aux évolutions technologiques. Ces évolutions induisent des affaires plus complexes et requièrent davantage de maîtrise des outils de télécommunication, auxquels les conciliateurs ne sont pas formés. Cela peut rendre difficile la compréhension de l’objet de certains litiges et alourdir le déroulement des conciliations, en particulier l’établissement des formalités (ex : rédaction des constats d’accords). De fortes disparités sont aussi observées suivant les lieux où les conciliateurs exercent leurs mandats. Si les maisons de la justice et du droit et points d’accès au droit sont bien équipés, les mairies, qui représentent 38 % des permanences, sont souvent mal dotées sur le plan des équipements informatiques.

Le développement de l’offre de formation aux conciliateurs et l’homogénéisation des conditions d’exercice par la mise à disposition systématique d’outils informatiques et de télécommunication sont des leviers simples qui permettraient une amélioration considérable du bon déroulement des conciliations. Un meilleur accueil des justiciables confèrerait aussi davantage de légitimité au conciliateur, ce qui favorise là encore le bon déroulement des conciliations. Cet accueil passe là encore par davantage de moyens tels que la mise en place de salles d’attentes, d’un espace dédié et d’une information des personnels des structures non-judicaires dans lesquelles exercent les conciliateurs.

Enfin, nos résultats révèlent que les conciliateurs intégrés dans le traitement d’affaires judiciaires déléguées sont souvent plus efficaces. Cela suggère qu’une meilleure coordination des conciliateurs par les magistrats pour la délégation des affaires est un levier d’amélioration dans le traitement des différends.

Comment l’évaluation des résultats de l’activité de conciliation civile pourrait-elle être prise en compte dans l’élaboration de politiques publiques en matière de justice civile ?

En premier lieu, 2-PAC permet de quantifier l’apport de l’activité de conciliation civile au fonctionnement des juridictions. Même si toutes les saisines en vue de conciliation ne sont pas nécessairement portées devant les juges, la conciliation a extrait du champ judiciaire plus 143 000 cas en 2019. D’ailleurs, les tribunaux les moins disponibles (volume d’affaires et durées élevés) sont aussi ceux où la conciliation extra-judiciaire est la plus efficace. La conciliation permet aussi d’assurer une proximité légale — pour des publics fragiles notamment — et géographique sur les territoires où l’accès au tribunal est plus difficile. De plus, il apparaît que les tribunaux où les conciliateurs sont mieux intégrés à l’activité des juges sont aussi plus performants. Le rapport plaide donc pour une meilleure coordination des conciliateurs par les magistrats.

Deuxièmement, 2-PAC fait écho au rapport de l’IGJ (2015) sur les MARD en proposant des indicateurs de suivi de la performance de conciliation. Les indicateurs que nous produisons sur la base de l’Enquête Conciliateurs permettent le suivi des activités de conciliation dans les tribunaux. Le recours aux techniques statistiques employées, dont la méthode DEA, sont des outils pertinents pour l’aide à la décision dans le pilotage des moyens alloués à la justice. L’analyse des déterminants de la performance met en outre en lumière des qualités désirables des conciliateurs favorisant la sélection des candidats aspirants (ex : la profession occupée par le passé et certains traits psychologiques).

Troisièmement et de façon plus pragmatique, l’étude met en lumière des marges d’amélioration très concrètes en particulier par une meilleure formation des conciliateurs et la mise à disposition d’équipements informatiques en vue d’un meilleur traitement des affaires. Notons que ce déficit technique n’est pas spécifique à la conciliation1; mais il affecte plus encore les conciliateurs qui ne sont pas personnels judiciaires et n’ont donc pas forcément les accès administratifs et informatiques nécessaires. La question des incitatifs ou du moins des indemnités des conciliateurs est aussi à reconsidérer pour maintenir l’engagement. Enfin, une des originalités de notre étude est d’avoir recouru à l’analyse expérimentale qui simule les dispositifs en ligne de règlement des différends. Nos résultats apportent une grille d’analyse d’une part sur le succès potentiel des conciliations en dehors des interactions physiques entre justiciables et, d’autre part, sur la manière dont les traits de personnalités des justiciables influent sur le déroulement des conciliations. Cela constitue une piste de réflexion en vue du déploiement des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) en ligne.


[1] cf. rapport de la Cour des comptes, 2022. Plan de transformation numérique du ministère de la justice