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Cycle de conférences de la Cour de cassation : penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice

Les pratiques juridictionnelles, aussi anciennes que variées, demeurent souvent cachées derrière l’office du juge. Pour autant, la volonté du magistrat, dans son environnement en transformation et fort de son éthique, est bel et bien de répondre aux besoins des justiciables et de la société, par son apport à la construction d’un espace de justice. C’est dans cette perspective que la Cour de cassation organise le cycle de conférences « Penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice », qui s’inscrit dans une recherche à la fois interdisciplinaire et comparative. À cette occasion, l’Institut a échangé avec Madame Sylvaine Poillot-Peruzzetto, conseillère à la Chambre commerciale, financière et économique, Madame Stéphanie Kass-Danno, conseillère référendaire à la Chambre commerciale, financière et économique et Monsieur Lukas Rass-Masson, professeur des universités, directeur de l’ESL de Toulouse.

Sylvaine Poillot-Peruzzetto, conseillère à la Chambre commerciale, financière et économique
Stéphanie Kass-Danno, conseillère référendaire à la Chambre commerciale, financière et économique
Lukas Rass-Masson, professeur des universités, directeur de l’ESL de Toulouse.

En quoi l’évolution des pratiques du droit peut-elle engendrer une influence sur la fonction du juge ?

Si la fonction du juge consiste à dire le droit et à trancher des litiges, elle n’en est pas moins sous-tendue par un objectif essentiel de restauration de la paix sociale. Celui-ci ne pourra pas être atteint par la seule application stricte d’une règle de droit. La mise en place de pratiques destinées à répondre aux besoins spécifiques des justiciables est également nécessaire. Par exemple, pour favoriser une résolution pacifiée des litiges en matière familiale, certains juges ont inventé une pratique consistant à proposer aux parties le recours à un médiateur familial vers lesquels elles ont pu être orientées directement dans les locaux du tribunal.

Le regard des justiciables, en tant que demandeur du droit et celui du juge, praticien et garant du droit, peuvent-il réellement entrer en corrélation ? Et comment le juge et ses acteurs peuvent-il rétablir la confiance des justiciables par le Droit ?

Cette corrélation est indispensable pour que le justiciable ait le sentiment que le procès, à l’issue duquel une décision sera rendue par le juge, était juste et qu’il accepte cette décision même si elle ne lui est pas favorable ou s’il est condamné à une peine. Au cours de la séance introductive à ce cycle de conférence, Mme Lionet, professeur de psychologie sociale, a souligné que deux éléments sont déterminants dans la perception de justice : l’équité procédurale et la qualité interactionnelle. De cette perception découle nécessairement la confiance des justiciables dans l’institution judiciaire. Celle-ci sera d’autant plus grande qu’ils auront pu s’exprimer, être entendus et considérés avec respect.

Face à une recrudescence de la déjudiciarisation des contentieux, de quelle façon le juge peut-il certifier la justice comme garante du droit ?

Le procès est encadré par un certain nombre de règles procédurales destinées à en garantir l’équité et à favoriser l’émergence d’une décision d’autant mieux acceptée qu’elle sera juste, c’est-à-dire qu’elle aura été rendue à l’issue d’un dialogue judiciaire au cours duquel chaque partie aura pu s’exprimer, faire valoir l’ensemble des arguments de fait et de droit dont le juge doit avoir connaissance pour appliquer la règle de droit appropriée à une situation factuelle dont il connaît toutes les facettes.

Comment mettre en lumière les différentes pratiques juridictionnelles exercées par le juge afin de sensibiliser les justiciables sur le parcours de justice et non plus uniquement sur la décision de justice ?

Le cycle vise précisément à mettre en lumière, par des témoignages de pratiques qui se détachent de la seule prise de décision judiciaire. Car si l’on parle de plus en plus de justice prédictive, il est essentiel de comprendre que la finalité du procès n’est pas seulement de trancher un litige ou de prononcer une peine mais de restaurer un lien pacifié entre les parties au procès. Les pratiques juridictionnelles sont déterminantes dans ce processus pacificateur.

Quelles sont les objectifs attendus dans l’organisation de ce séminaire « Penser les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice » ?

Il s’agit, d’abord, de mettre la focale sur une partie du travail du magistrat, souvent méconnue. Mû par une éthique professionnelle, qu’il nous importe de mettre en valeur, il cherche, dans le cadre de son office, à inventer, construire, mettre en œuvre des pratiques afin de répondre aux besoins des justiciables. Il s’agit, ensuite, en liaison avec les sciences sociales, d’appréhender ces besoins relatifs à un espace de justice dont les contours sont variés. Il s’agit, enfin, par une réflexion impliquant des juges d’autres États de l’Union européenne et par approche comparative, de participer à la construction d’un espace de justice européen, étant rappelé que la justice, comme la démocratie, est un pilier de la culture européenne.

Quel rôle la Cour de cassation souhaite-t-elle jouer dans ce cycle de conférences ?

La Cour de cassation, par ce cycle consolide davantage encore les liens entre les professions du monde universitaire et celles de la justice. Ce dernier s’inscrit dans le prolongement de la réflexion sur l’office du juge et se présente comme une formidable occasion de mettre en lumière les pratiques des juges qui, trop longtemps, sont restées dans l’ombre. Il vise à mettre en lumière l’évolution, d’une application mécanique de la loi jusqu’au contrôle par le juge de la conformité de la loi aux droits européens et aux droits et libertés fondamentaux à valeur constitutionnelle, en passant par le principe de réalité par lequel Portalis avait retenu qu’« un code quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat ». La réflexion est d’autant plus importante que l’avènement parallèle d’un espace européen et d’un espace numérique conduit à la redéfinition du rôle et du périmètre d’action des juges.

Retrouvez le programme 2023 du Cycle de conférences de la Cour de cassation