Renonciations et successions: quelles pratiques?

Auteur•rice•s

Cécile PERES

Publication

2017

La renonciation de l’héritier en matière successorale a longtemps été considérée comme une issue anormale par laquelle le successible se détournait de la succession à laquelle il devenait étranger. Cependant, ce mécanisme juridique a été profondément modernisé à l’occasion de la réforme des successions et des libéralités par la loi du 23 juin 2006. Rajeunie, repensée, la renonciation se présente désormais sous de multiples formes et peut remplir des fonctions bien différentes. Ainsi renouvelée, la renonciation est devenue, du moins dans les textes, un mode d’optimisation prometteur de la transmission des patrimoines dans un contexte d’allongement de la durée de vie et un outil de libéralisation du droit des successions et des libéralités. Renoncer, c’est désormais aussi transmettre et permettre au disposant de transmettre plus librement. C’est notamment ce que donnent à voir la renonciation à la succession, en tant qu’option héréditaire, lorsqu’elle est assortie d’une représentation du renonçant par ses propres descendants ; le cantonnement des libéralités qui permet au bénéficiaire d’une libéralité consentie par le défunt de n’en accepter qu’une partie et d’y renoncer pour le surplus à la mesure de ses besoins ; la donation-partage transgénérationnelle par laquelle la génération intermédiaire (les enfants) accepte, du vivant du futur défunt, de s’effacer au profit de la plus jeune génération (les petits- enfants) ou encore la renonciation anticipée à l’action en réduction des libéralités par laquelle l’héritier réservataire renonce par avance à agir en réduction contre les libéralités portant atteinte à sa réserve.

Toute la question, à laquelle la recherche s’est efforcée de répondre, est de savoir si ce renouvellement théorique a été suivi d’effets pratiquement dix ans après l’entrée en vigueur de la loi et, dans l’affirmative, de déterminer à quels usages ces outils correspondent effectivement. A cette fin, une enquête de sociologie juridique appliquée a été menée auprès des notaires. L’enquête a mobilisé plusieurs outils. Des questionnaires ont été diffusés et des entretiens semi- directifs menés. L’enquête a également cherché à replacer cette évolution dans un contexte historique en analysant la résurgence des renonciations sur le temps long. Elle a enfin mobilisé le droit comparé et le droit international privé afin de mesurer ce phénomène à la lumière des pratiques étrangères et de l’internationalisation contemporaine des successions.

Des données recueillies relativement aux pratiques françaises contemporaines, il résulte que, de manière générale, la renonciation reste largement inhabituelle pour l’héritier. A cet égard, la renonciation confirme à sa manière l’importance sociologique de la transmission entre les générations qui se joue autour de l’héritage. Par ailleurs, si les nouvelles renonciations ont, pour certaines, bien trouvé leur place dans la pratique notariale et si elles contribuent effectivement, dans cette mesure, à l’avènement d’une succession négociée et au renouvellement du rôle de l’héritier dans le processus de transmission, leurs usages sociaux sont très différenciés car ils dépendent directement de la valeur de la succession ainsi que de la situation personnelle et familiale des acteurs. Enfin, la prudence dont la pratique fait preuve dans la mise en œuvre de la renonciation anticipée à l’action en réduction traduit en contrepoint l’attachement des notaires à la réserve héréditaire et à l’égalité successorale minimale qu’elle permet d’assurer entre les héritiers et, par-delà, le profond enracinement de cette institution dans la société française.

La recherche a fait l’objet d’une publication aux éditions Defrénois: https://www.lgdj.fr/renonciations-et-successions-quelles-pratiques-9782856232958.html