Remise en cause des concepts du droit des sociétés par les techniques de financement. Le cas de « l’empty voting »

Auteur•rice•s

Bruno DONDERO, Lamia EL BADAWI, Frédéric LEPLAT

Publication

2013

Remise en cause des concepts du droit des sociétés par les techniques de financement.
Dissociation entre la qualité d’actionnaire et le risque financier (Empty voting et hidden ownership)

Le droit de vote est la source principale du pouvoir de l’actionnaire. Il est originellement conçu comme la contrepartie du risque en capital pris par les actionnaires.

Les dérogations au principe de proportionnalité suscitent des inquiétudes. Tel est en particulier le cas d’une pratique dite du vote vide ou empty voting lorsque l’actionnaire ne subit aucun risque ou de l’hidden ownership lorsque les risques inhérents à la qualité d’actionnaire sont économiquement transférés à un tiers occulte (le decoupling désignant ensemble l’empty voting et l’hidden ownership). Cette pratique opère une dissociation, du point de vue économique, entre le risque attaché à la qualité d’actionnaire et le droit de vote.

L’étude a eu pour objet de cerner la réalité de ce phénomène auprès de différents acteurs institutionnels et auprès des sociétés cotées afin de déterminer les difficultés rencontrées et les solutions envisagées. Pour ce faire, un questionnaire a été adressé aux sociétés dont les titres sont admis sur un marché réglementé. Ce questionnaire a été complété par des entretiens auprès d’acteurs institutionnels et de directeurs financiers et juridiques ainsi que divers spécialistes de ces questions.

Le decoupling ne peut être enfermé dans une catégorie juridique nommée par le législateur. Aucune des législations étudiées n’est parvenue à donner une définition pertinente de cette pratique. En réalité, le système juridique dispose cependant déjà des moyens permettant de lutter efficacement contre une telle pratique grâce aux notions d’abus de droit et de fraude. Il ne peut en être ainsi qu’à condition de laisser au juge ou à l’autorité de marché un large pouvoir d’appréciation lui permettant de rechercher in concreto, au moyen de faisceaux d’indices, si, en l’espèce, la fraude ou l’abus de droit est bien le seul objectif poursuivi. Renforcer le pouvoir du juge, en particulier au regard des sanctions, tout en lui laissant un large pouvoir d’appréciation, éventuellement guidé par un faisceau d’indices paraît le seul moyen d’appréhender le phénomène économique. Cette conclusion rejoint l’opinion des personnes interrogées lors de l’enquête : elles sont majoritairement défavorables à l’inflation de la réglementation financière qui de surcroît ne parvient pas ni à devancer l’imagination de la pratique ni à distinguer les techniques decoupling licites de celles devant être sanctionnées car contournant des dispositions impératives.