Dans un contexte de mixisation croissante à l’œuvre depuis les années 1990 au sein des prisons en France tant du côté des personnels que du côté des personnes détenues, cette recherche documente et interroge ce processus, pour en saisir les enjeux et mesurer les transformations et les résistances associées. À partir d’une démarche interdisciplinaire (droit, sociologie, socio-économie), l’enquête menée dans quatorze établissements pénitentiaires s’est appuyée sur un travail documentaire, une analyse juridique, une mobilisation des outils de la méthode architecturale et l’articulation de méthodes qualitatives (entretiens et observations) et quantitatives (questionnaires). Elle a permis d’identifier trois dimensions dans la mise en œuvre de la mixité genrée en détention. Nous avons d’abord étudié la mixité des personnels et la division genrée du travail à laquelle elle conduit. Nous avons ensuite étudié les interactions mixtes entre personnes détenues, pour prendre la mesure du principe général de non-mixité et de ses exceptions. Notre recherche s’est enfin portée sur les (petits) arrangements des acteurs et actrices du monde carcéral avec le principe de séparation des sexes. Il y a incontestablement une volonté institutionnelle de mixisation de la prison, laquelle répond à deux enjeux essentiels : celui de l’égalité professionnelle des femmes et des hommes et celui de l’égalité d’accès des personnes détenues au service public pénitentiaire. Cette volonté se heurte toutefois, en interne, à des obstacles de plusieurs ordres : le poids des représentations sociales, le poids des contraintes matérielles et les attentes des personnes détenues. La mise en œuvre de la mixité échappe ainsi largement aux acteurs et actrices du monde carcéral. Elle est aussi pour partie le résultat de contraintes pesant lourdement sur les choix en mesure d’être faits. Organiser la mixité ou la non mixité suppose donc de repenser les lieux de détention et le recours à l’incarcération, comme c’est le cas dans d’autres systèmes pénitentiaires européens (Espagne ou Belgique). Or, cette question en France est loin d’être inscrite à l’agenda de l’action publique. L’approfondissement de la mixité se heurte aussi à des obstacles structurels et extérieurs au milieu carcéral : comment envisager une déconstruction de l’ordre du genre en détention alors qu’il est aussi prégnant au-dehors ? Prendre ces questions en considération est essentiel, à deux titres. D’abord, pour ne pas faire de la mixité en prison une simple politique d’affichage, nullement accompagnée par les dispositifs de mise en œuvre concrète à destination des personnels et des personnes détenues. Ensuite, pour ne pas ériger la prison au rang d’institution spécifique : la prison n’est que le miroir grossissant des rapports sociaux de sexe qui traversent la société dans son ensemble.
Cette recherche est issue de l’appel à projet lancé sur le thème : la mixité en prison
English version – Résumé en anglais
In a context of increasing gender-mixing in French prisons since the 1990s, on both the staff and inmate sides, this research documents and investigates this process, in order to understand the issues at stake and measure the associated transformations and resistance. Using an interdisciplinary approach (law, sociology, socio-economics), this survey conducted in fourteen prisons was based on documentary work, legal analysis, the mobilization of architectural method tools and the articulation of qualitative (interviews and observations) and quantitative (questionnaires) methods. The study identified three dimensions in the implementation of gender mixing in detention. Firstly, we studied the mixing of staff and the gendered division of labor to which it leads. We then studied mixed interactions between detainees, to assess the general principle of non-mixity and its exceptions. Finally, our research focused on the (small) arrangements made by prison actors with the principle of gender separation. There is undoubtedly an institutional desire to promote gender mixing in prisons, which responds to two key challenges: equality between men and women in the workplace, and equal access for prisoners to the public prison service. However, internally, this desire comes up against a number of obstacles: the weight of social representations, the weight of material constraints and the expectations of inmates. Implementing gender mixing is therefore largely beyond the control of prison staff. It is also partly the result of constraints that weigh heavily on the choices that can be made. Organizing gender-mixing or not, therefore, requires a rethinking of detention facilities and of the use of incarceration, as is the case in other European penitentiary systems (Spain and Belgium). In France, however, this issue is far from being on the public agenda. Increasing gender mixing also comes up against structural obstacles outside the prison environment: how can we envisage deconstructing the gender order in prison when it is just as prevalent outside? Taking these issues into consideration is essential, for two reasons. Firstly, to ensure that gender mixing in prisons does not become a mere display policy, unaccompanied by concrete implementation measures for staff and inmates alike. Secondly, to ensure that prisons are not treated as specific institutions: prisons are merely a mirror of the gender relations that permeate society as a whole