L’Internet est par construction un espace global. Son poids grandissant dans l’économie et la société mondiales favorise l’apparition de grands acteurs transnationaux dont la puissance économique et technologique peut aujourd’hui rivaliser avec les stratégies des États.
L’actualité de ces dernières années montre que cette lutte d’influence s’exprime de plus en plus sur le terrain juridique. C’est en effet par le biais de la norme juridique nationale, régionale ou internationale que les acteurs publics démocratiques s’efforcent traditionnellement d’exercer une influence régulatrice sur les forces du marché et les stratégies des acteurs privés.
Il est donc logique que la confrontation entre les acteurs majeurs de l’Internet (Google, Facebook, Amazon, pour citer les plus emblématiques) et les régulateurs publics soit aujourd’hui ouverte en parallèle sur plusieurs fronts juridiques : protection de la vie privée, droit de la consommation, propriété intellectuelle, droit de la concurrence, lutte contre la cybercriminalité, fiscalité…
Mais ce qui est plus étonnant est de constater que face aux stratégies juridiques très construites (et parfois brutales) de ces firmes, les États et les juges nationaux ou européens peinent à faire respecter leurs règles du jeu. Mieux, ces stratégies de résistance et de contournement parviennent dans certains cas à infléchir puissamment la production du droit et son application, comme l’a bien montré la victoire obtenue par Google devant la Cour de justice en mars 2010 au détriment des titulaires de droits de propriété intellectuelle, dans le dossier des Adwords.
Ce «défi aux droits» par les pure players du cyberespace met en question les politiques publiques de nos États démocratiques, qui conservent la prétention de réguler la société de l’information et d’y faire prévaloir des objectifs d’intérêt général. À l’heure où la Cour de Justice vient de donner raison à un internaute souhaitant faire prévaloir son « droit à l’oubli » à l’encontre du référencement par Google, une meilleure compréhension de la manière dont ces acteurs utilisent l’arme juridique et ses limites permettrait de rétablir un rapport de force plus équilibré les incitant à la coopération plutôt qu’à la confrontation et par là, de contribuer à l’émergence d’une véritable politique juridique extérieure dans le domaine numérique.
Intervenants :
M. Alain Strowel, Professeur à l’UCLouvain, avocat « Of counsel », Covington & Burling LLP, et auteur de Quand Google défie le droit (De Boeck-Larcier, 2011).
M. Bertrand Warusfel, Professeur, Université de Lille 2, avocat associé, Feltesse, Warusfel, Pasquier & Associés (FWPA)