Les enjeux juridiques de la transition écologique des territoires menacés par la montée des eaux

Auteur•rice•s

Jean-François STRUILLOU

Publication

Déc. 2024

La société s’interroge sur la nécessité de repenser globalement la relation Homme-Nature dans les espaces proches du rivage et de mettre en place, dans les communes les plus vulnérables aux effets de l’érosion côtière, des mesures d’adaptation à la montée des eaux. L’étude de la norme et des institutions révèle que celles-ci contribuent ici à soutenir la mise en place d’un nouveau paradigme, lequel consiste à passer d’un modèle « non-soutenable » – marqué par le maintien et l’extension de l’urbanisation dans la bande côtière ainsi que par la construction d’ouvrages de défense contre la mer – à une transition écologique consistant à réduire la vulnérabilité des activités humaines à ce phénomène et à renaturer les espaces concernés. La contribution principale du droit à l’édification de la transition écologique est ainsi de mettre en scène un récit autre que celui qui prévalait jusqu’à maintenant. C’est cela que la transition écologique doit d’abord au droit. Le « travail » accomplit par celui-ci dans le domaine considéré est de donner à travers de multiples instruments une autre « représentation juridique » du littoral, laquelle vise moins l’artificialisation de la bande côtière que la recomposition spatiale des territoires.

L’analyse de la fidélité ou de l’infidélité de la norme à son idée-mère laisse néanmoins apparaître que la normativité fixée par le Texte est loin d’incorporer une transition écologique « dogmatique ». Transition n’est pas révolution. Aussi observe-t-on la mise en place d’une adaptation « souple » où le changement de cap annoncé et officialisé par la loi « climat et résilience » et les stratégies de gestion du trait de côte se fait de manière progressive afin de favoriser son acceptabilité sociale et de ne pas heurter par trop frontalement un modèle d’exploitation fondé sur l’économie bleue. Transition respectueuse du réel, telle est la forme que le droit entend donner à la transition écologique.

La recherche révèle en outre que cette construction juridique n’est en rien chimérique en ce sens que les rapports sociaux s’organisent et s’agencent dorénavant en fonction de ce nouvel imaginaire collectif. Le droit permet en effet de soutenir et de régler la communication sociale autour de ce nouveau récit, les acteurs étant invités – sinon contraints – d’inscrire leurs projets dans des « catégories métaphores » nouvelles que leur offrent la loi et la soft law.

Nul doute que cette rhétorique juridique accueille et véhicule immanquablement une part de fiction dès lors qu’on ne peut attendre du droit la copie conforme d’une idéologie ou de la réalité dans laquelle il évoluera. N’empêche que cela n’entame en rien la force matérielle du droit. Par la transfiguration de l’idéologie et des faits qu’ils accomplissent, les mots du droit créent, transforment et produisent incontestablement du réel dans le domaine considéré, et cela même si, comme le montre la recherche, les données concrètes infligent d’ores et déjà des démentis au droit, la norme appliquée n’étant pas toujours celle voulue par ses auteurs. Il faut assumer ce risque. On aurait tort, en effet, de « condamner le droit ou en faire bon marché sous prétexte de divorce ou même de décalage entre ses prescriptions et les faits » car une telle réprobation conduit « à prêter au langage juridique une puissance démiurgique qui ne saurait être la sienne » (J. Caillosse, Introduire au droit, Montchrestien, 3ème éd., 1998, p. 68)

Cette recherche est issue de l’appel à projet lancé en 2021 sur le thème :  : Les enjeux juridiques de la transition écologique

Résumé en anglais / English version below

Conducted in municipalities most vulnerable to the effects of coastal erosion, the research analyzes the paradigm shift from an “unsustainable” model marked by the maintenance and extension of urbanization in the coastal strip and the construction of sea defenses – to an ecological transition involving the reduction of the vulnerability of human activities to this phenomenon and the renaturation of the areas concerned, based on the adaptation measures put in. place to combat rising sea levels and their consequences. Far from incorporating a “dogmatic” ecological transition, the change formalized by the Climat and Resilience Act and the coastline management strategies is being implemented gradually and flexibly, in order to promote its social acceptability and avoid clashing too head-on with an operating model based on the blue economy.