Étude comparative de la jurisprudence des Cours européennes et des Cours nationales françaises et italiennes
La vulnérabilité apparaît comme une notion en vogue, dont l’usage s’est imposé dans presque toutes les sciences humaines et sociales. Dans le champ juridique, le terme est employé aussi bien par le législateur que par les juges : l’identification d’une situation de vulnérabilité leur sert à pointer un risque d’exclusion du bénéfice des droits fondamentaux, et manifeste la volonté subséquente d’en garantir la jouissance effective. À ce jour, toutefois, le thème a fait l’objet de travaux doctrinaux essentiellement ciblés, par juridiction ou par branche du droit. Or, la montée en puissance de ce paradigme, bien au-delà des frontières hexagonales, appelle une approche globale, qui permette d’éprouver cette fonction de garantie de l’effectivité des droits fondamentaux.
Le projet de recherche s’est concentré sur l’étude de la jurisprudence rendue entre 2010 et 2023, avec une approche large, transversale et comparative. En particulier, les décisions des Cours européennes de Strasbourg et de Luxembourg, ainsi que des Cours constitutionnelles et des Cours suprêmes françaises et italiennes (Cour de cassation et Conseil d’État) ont été analysées et comparées. Le volet jurisprudentiel, principal, a été complété par l’examen des travaux de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que – au niveau national – de certaines Autorités administratives indépendantes, qui s’occupent de la protection des droits des personnes vulnérables. Un volet sociologique a également enrichi la réflexion, il s’est appuyé sur une série d’entretiens semi-directifs.
Il ressort de la recherche que la notion de vulnérabilité n’est jamais définie par les juges ou autorités qui l’emploient, mais qu’elle y apparaît comme l’exposition de la personne vulnérable à un risque de méconnaissance de ses intérêts juridiquement protégés, c’est-à-dire de ses droits fondamentaux. Cette méconnaissance peut résulter de l’absence d’exercice concret du droit par la personne, ou de sa violation par les pouvoirs publics ou par les tiers. Ce lien intime entre vulnérabilité de la personne physique et potentielle méconnaissance des droits explique un recours large et spontané à la notion aussi bien par la Cour européenne des droits de l’homme que par les AAI, notamment dans le contentieux des étrangers et du droit d’asile, ou dans ceux relatifs à la protection de l’enfance ou en matière de détention, alors que les cours nationales et la Cour de justice de l’Union européenne utilisent plutôt la notion par application d’un texte qui s’y réfère. Devant tous les juges et autorités étudiées, la mise en exergue de la vulnérabilité de la personne physique permet de mettre à jour des obligations de protection spécifiques à son égard, qui se déploient au niveau procédural aussi bien que substantiel. Toutefois, la notion n’est pas dénuée d’ambivalences et peut donner lieu à des mésusages ; on peut relever à cet égard les risques d’essentialisation et de stigmatisation des personnes vulnérables, mais aussi de paternalisme. En outre, une interprétation restrictive de la vulnérabilité lui fait dans certains cas jouer un rôle de filtre, excluant indûment certaines personnes de la protection juridictionnelle.
Résumé en anglais / English version below
The research focuses on vulnerability in the jurisprudence of Italian and French constitutional and supreme courts and in that of European courts. It aims to explore the links between the use of the notion of vulnerability and the promotion of the effectiveness of the fundamental rights of the individual. The whole interest and specificity of this study is to propose in an unprecedented way, a broad, transversal and comparative jurisprudential study, between European level and the national level, between two national legal orders and between different orders of jurisdiction in each national order. . The main results show that vulnerability, not precisely defined, exposes people to lack of awareness of their rights, justifying specific protections. The research invites us to explore avenues of reflection to reflect in particular on the links between vulnerability and cases of systemic or structural violations of certain fundamental rights: for example in terms of social rights, for cases of mistreatment or even victims of crimes.