Dans le cadre d’une mission confiée par Christiane Taubira, garde des Sceaux, l’IHEJ a mené en 2012-2013 une réflexion sur l’évolution de l’office du juge et son périmètre d’intervention. Ce rapport en présente les conclusions et recommandations.
Assurer une justice plus proche des citoyens, plus efficace et plus accessible, n’implique pas seulement de moderniser l’ensemble de l’institution judiciaire, de procéder à des réformes statutaires et organisationnelles. Atteindre cet objectif suppose aussi de redéfinir les missions du juge du XXIe siècle, en tenant compte à la fois de l’évolution de la société, des pratiques actuelles et d’une mise en perspective des demandes de justice.
C’est dans cette optique que Christiane Taubira, garde des Sceaux, a souhaité confier à l’IHEJ le soin de mener une réflexion sur l’évolution de l’office du juge et son périmètre d’intervention et de faire des recommandations dans ces domaines.
Au travers d’entretiens mais aussi de séminaires organisés tout au long de l’année 2012-2013 et animés par un groupe de travail constitué par Antoine Garapon, secrétaire général de l’IHEJ, Sylvie Perdriolle, présidente de chambre à la Cour d’appel de Paris et Boris Bernabé, professeur de droit à l’université de Franche-Comté, cette réflexion s’est attachée à revenir aux fondements de l’office du juge, à ses définitions, son histoire, ses différentes facettes, en croisant les points de vue de tous les acteurs judiciaires.
Les travaux menés ont permis d’observer que la justice française a probablement plus changé ces trente dernières années qu’au cours des deux derniers siècles. Ici comme ailleurs, on a le sentiment d’assister à un véritable changement de civilisation, d’autant plus visible dans la justice que celle-ci est à la fois la cible et l’agent du changement.
D’où l’envahissement par un sentiment de « crise » – la justice n’échappe pas à la mode –, mais dont il faut toutefois se méfier. Plutôt que de gloser sur une hypothétique « crise d’identité du juge », mieux vaut se pencher sur les évolutions de son « office ». Or, une réflexion sur « l’évolution de l’office du juge et son périmètre d’intervention », bien qu’écartant d’emblée les magistrats du parquet, est très vaste et il a fallu la préciser, et donc la réduire.
Dans son champ tout d’abord, en resserrant l’étude sur le juge judiciaire et non sur les juges administratifs ou constitutionnels, et sur les juges professionnels et non sur les juges consulaires, les conseillers de prud’hommes, les assesseurs, jurés, citoyens assesseurs ou juges de proximité. C’est une limite incontestable qui était néanmoins le prix à payer pour approfondir l’office du juge. Défricher serait plus exact car cette question qui paraît si ordinaire – l’expression « office du juge » semblant scellée par des siècles de littérature judiciaire – s’est rapidement révélée être paradoxalement très nouvelle.
Comment, dans ces conditions, l’aborder ? Il fallait ensuite adopter une méthode. La voie la plus sûre aurait été de l’observer à partir des textes et des jurisprudences qui encadrent l’action du juge national. Cette vision présentait l’avantage de cerner avec un certain degré de précision le périmètre « légal » de l’action du juge. La doctrine, d’ailleurs, s’y emploie depuis longtemps, en lui ajoutant depuis quelques années une réflexion sur la déontologie du juge. Il était possible d’emprunter une autre voie, plus audacieuse mais aussi plus périlleuse, en s’attachant à l’observation des pratiques professionnelles – ce que l’on appelle le « métier » – et qui dépassent, tout en les utilisant, les pratiques juridiques. Non pas pour décrire ces pratiques mais pour les comprendre. C’est celle qui a été choisie.
Ce choix en entraînait un autre : s’enfoncer dans le maquis des pratiques et des transformations du métier de juge, plutôt que de rester sur le réseau bien balisé des lois et des textes, éloignait non seulement du style des rapports traditionnels mais aussi de leur objectif immédiat qui consiste à formuler des propositions de réformes. Le choix a donc été assumé de renoncer à proposer un plan déterminé de réformes composé de modifications législatives ou réglementaires. Un raisonnement en deux temps a été privilégié : faire le pari que revenir aux fondements de l’office du juge serait la meilleure voie pour esquisser ensuite à grands traits les directions vers lesquelles on pourrait le faire évoluer. Ce retour a permis de jeter un regard à la fois élargi et distancié sur l’ensemble d’une culture, la nôtre, dont on a pu mesurer la mutation qu’elle est en train de vivre. Et de comprendre que c’est d’elle qu’il faut partir si l’on veut réformer la justice.
Le rapport remis par l’IHEJ dans le cadre de sa réflexion sur l’office du juge a donné lieu à la publication d’un ouvrage aux éditions Odile Jacob, intitulé La prudence et l’autorité : juges et procureurs du XXIe siècle et co-rédigé par Antoine Garapon, Sylvie Perdriolle et Boris Bernabé.