La motivation des peines étant devenue, sous l’impulsion donnée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er février 2017, une obligation générale et absolue dans le champ correctionnel, la question de sa traduction dans les pratiques des juridictions du fond se pose nécessairement au regard du contexte de crise du service public de la justice et de crise de l’autorité judiciaire dans lequel cette évolution est intervenue. Les juges correctionnels motivent-ils dans le détail, en reprenant et en sous-pesant à l’écrit tous les éléments permettant de justifier ou d’expliquer la peine prononcée, ou se contentent-ils seulement de répondre, a minima, aux exigences nouvelles, notamment en recourant à des formules standardisées ou simplifiées leur permettant de faire la démonstration que la peine prononcée est nécessaire et proportionnée, en application des critères d’individualisation des peines déterminés par la loi ? Pour répondre à ces interrogations, une équipe de recherche, composée de chercheurs œuvrant dans le champ du droit de la peine et de l’exécution des peines, de la procédure pénale, de l’économie du droit, ou encore de la psychologie sociale, a réalisé, sous l’égide de la Mission de recherche Droit et Justice, une cartographie des pratiques juridictionnelles de la motivation, à partir de l’analyse quantitative et qualitative d’un échantillon significatif de décisions de justice, et d’entretiens avec les acteurs de la motivation, afin d’évaluer la plus-value des nouvelles exigences légales et jurisprudentielles de motivation des peines, d’analyser la manière dont elles ont été reçues par les professionnels du droit, et de mettre en exergue les difficultés et problématiques que leur application pratique pose aux magistrats.
Au plan méthodologique, l’équipe de recherche a analysé 6 482 décisions de justice ainsi que l’ensemble des ordonnances pénales délictuelles et des ordonnances d’homologation de CRPC rendues entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2022 par cinq tribunaux judiciaires. L’équipe de recherche s’est appuyée sur des outils d’exploitation des données spécifiquement créés pour faire apparaître, au terme d’une analyse statistique et économétrique des données recueillies, des résultats chiffrés permettant, selon le type de décision analysée, d’apprécier le contenu de la motivation de la peine. Parallèlement à cette analyse statistique des décisions et à leur étude analytique, l’équipe de recherche a mené des entretiens auprès des acteurs de la motivation, principalement des juges, procureurs et avocats.
À l’issue de trois années de recherche, les résultats mettent en évidence que, si la motivation des peines est quasi inexistante dans les décisions rendues sur la période 2017-2018, elles sont le plus souvent sommairement motivées dans les décisions rendues sur la période 2021-2022, en raison du recours massif à des formules standardisées ou simplifiées. Les résultats montrent que certaines peines ne sont pas motivées (69% des cas pour les peines d’amende), et lorsqu’elles semblent mieux motivées, l’analyse montre que la majorité des motivations retenues relèvent de formules type (89% des cas pour les peines de jours-amende). Quant aux peines d’emprisonnement aménageables ab initio au regard de leur quantum, 73% donnent lieu à un refus d’aménagement qui n’est pas motivé dans près de 80% des cas, et pour les cas restants, donnent lieu à une motivation standardisée ou, au mieux, simplifiée. Enfin les résultats de la recherche permettent de constater une motivation généralement plus soignée dans les décisions des cours d’appel, ainsi que celles rendues par les juridictions de l’application des peines.
Cette recherche est issue de l’appel à projet sur le thème : La motivation des peines correctionnelles