Justice et magistrat·es : une gestion des ressources humaines (GRH) en miettes ?

Auteur•rice•s

Estelle MERCIER, Lionel JACQUOT, Sylvie PIERRE-MAURICE

Publication

Oct. 2022

Cette recherche éclaire les transformations de la gestion des ressources humaines (GRH) des magistrat·es en comparant les cas français et belge et en prenant comme contrepoint le système suédois. C’est moins le statut constitutionnel de la magistrature que son contenu qui marque l’« exception française » : l’intégration directe sur profil inexpérimenté (contrebalancée par d’autres formes de recrutement) ; la mobilité géographique et fonctionnelle qui sert à la fois d’outil juridique au service de l’impartialité et d’outil de GRH déterminant les avancements de carrière ; la dyarchie qui prévoit la gestion conjointe d’un même tribunal par le siège et le parquet sous l’autorité d’un.e chef.fe de juridiction.

Ces singularités se fondent sur la volonté de garantir l’indépendance par une gestion du corps par le corps, modèle plébiscité par les magistrat·es même s’il doit co-exister avec une GRH parallèle pour les « autres » professionnel·les du tribunal qui n’appartiennent pas aux corps mais partagent au plan gestionnaire une organisation et des objectifs communs. Les incohérences se retrouvent autant dans la fragmentation des décisions et du pouvoir que dans l’empilement d’outils et de pratiques RH empreints du modèle délibératif mais incluant des composantes objectivantes et l’approche individualisante soutenue par la nouvelle gestion publique. Ces incohérences sont à la fois internes (dans l’articulation des outils de GRH entre eux), processuelles et discursives (entre une décentralisation managériale prônée et une centralisation de la politique juridictionnelle), et externe (empilement des réformes). Les chef.fes de juridiction sont presqu’entièrement accaparé·es par le management quotidien de l’activité juridictionnelle alors qu’ils·elles sont de plus en plus attendu.e.s sur un plan stratégique qu’ils.elles n’ont pas les moyens d’investir. Malgré une grande créativité sous contrainte et une grande résilience des personnels, les nombreux dysfonctionnements, les frustrations nées d’une approche devenue purement quantitative et d’une inadéquation entre les besoins et les ressources devenue structurelle, mettent en péril la qualité de la justice. La recherche montre les convergences entre les chef·fes de juridiction en France et les chef·fes de corps en Belgique alors qu’ils·elles n’exercent pas dans le même modèle de GRH. Inadaptable au paradigme judiciaire français, le modèle suédois permet, quant à lui, de faire un pas de côté pour tenter de réinventer une GRH française à la hauteur de l’engagement de ses magistrat·es.

Rapport de recherche réalisé sous la
direction de Lionel JACQUOT, Sylvie PIERRE-MAURICE, Estelle MERCIER.

Voir la recherche n°18.30 « La gestion des ressources humaines des magistrats en France et en Europe »