De la « dérogation » coloniale à « l’adaptation » postcoloniale :

Auteur•rice•s

Marie SALAÜN, Christine SALOMON

Publication

Juil. 2024

Retour sur la peine et son exécution dans les collectivités du Pacifique français (Nouvelle Calédonie, Polynésie française)

En Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, le legs colonial est souvent mobilisé pour rendre compte des particularités contemporaines de la justice pénale. Si de nombreux travaux historiques ont été consacrés au bagne d’une part, et à cette forme de justice répressive propre au contexte colonial, le régime de l’indigénat, d’autre part, la prison y est restée un angle mort de l’historiographie. La recherche avait pour ambition de dégager un éventuel modèle de l’exécution des peines sui generis, façonné tant par les représentations des spécificités de la population colonisée que par les représentations de l’ordre public colonial dans leur déclinaison locale. En tant qu’ils sont centrés sur la période coloniale stricto sensu, les travaux des historiens ne permettent pas de combler un vide concernant la période immédiatement post-coloniale, quand ces territoires deviennent des Territoires d’Outre-mer (TOM) au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La recherche vise à comprendre ce qui se passe – et ce qui ne se passe pas – des années 1950 aux années 1990, années de transition vers l’étatisation des services pénitentiaires. Elle envisage la disparition d’un traitement particulier des anciens sujets colonisés devenus citoyens français à part entière en matière d’application des peines. Du colonial au post-colonial, elle identifie les tournants de l’histoire de la privation de liberté dans ces deux archipels, en montrant que les moments de rupture sont tributaires des grands changements institutionnels qui affectent ces territoires, mais ont aussi des dynamiques propres au système carcéral. Le projet se situe à la croisée de plusieurs champs disciplinaires : histoire coloniale et impériale, histoire de la décolonisation, histoire des institutions pénitentiaires, anthropologie politique des sociétés du Pacifique insulaire. Il mobilise différents types de sources : des références bibliographiques académiques et de la littérature grise, des archives administratives conservées en France hexagonale et dans le Pacifique, la presse locale d’époque, et un corpus d’entretiens réalisés in situ en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Un premier temps consiste à situer la prison dans l’ensemble des principales sanctions, tant pénales qu’extra-judiciaires, auxquelles ont été soumises les populations indigènes des deux territoires : la peine capitale, la déportation, les enfermements.

Un second temps présente la période qui succède à celle d’un « carcéral de conquête », avec l’ouverture de prisons civiles qui continuent d’échapper largement aux grandes réformes qui jalonnent l’histoire pénitentiaire hexagonale et témoignent de trajectoires originales.

Le troisième temps développe la difficile transformation d’un univers carcéral marqué par l’histoire coloniale en une prison compatible avec l’égalité formelle des citoyens, dans le contexte d’une protestation contre les essais nucléaires et de revendication indépendantiste.

English version below / Résumé en anglais

In New Caledonia as in French Polynesia, the colonial legacy is often used to account for the contemporary particularities of criminal justice. While, on the one hand, numerous historical works have been devoted to the penal colony and to this form of repressive justice specific to the colonial context which is the indigenous regime, on the other hand, the prison has remained a blind spot in historiography. The research target was to identify a possible sui generis model for the execution of sentences, shaped as much by representations of the specificities of the colonized population as by the representations of colonial public order in their local variations. Insofar as they focus on the colonial period stricto sensu, historians’ work does not fill the gap concerning the immediate post[1]colonial period, when these territories became Overseas Territories (TOM) in the aftermath of the Second World War. Our research aims to understand what happened – and what didn’t happen – from the 1950s to the 1990s, the years of transition to the state-run prison services. It looks at the disappearance of special treatment for former colonized subjects who had become full French citizens concerning the enforcement of sentences. From colonial to post-colonial times, it identifies the turning points in the history of custodial sentence in these two archipelagos, showing that the moments of rupture are dependent on the major institutional changes affecting these territories, but also have dynamics specific to the prison system. The project lies at the crossroads of several disciplinary fields: colonial and imperial history, history of decolonization, history of penitentiary institutions, political anthropology of Pacific islands societies. It draws on various types of sources: academic bibliographical references and grey literature, administrative archives preserved in mainland France and in the Pacific, the local press of the time, and a corpus of interviews conducted in situ in New Caledonia and French Polynesia. A first step consists in situating the prison within the range of main sanctions, both criminal and extra-judicial, to which the indigenous populations of the two territories were subjected: capital punishment, deportation, confinement. A second part presents the period which follows that of a “prison of conquest”, with the opening of civil prisons that continued to largely escape the major reforms that punctuated the history of Metropolitan French prisons, and bear witness to original trajectories. The third section develops the difficult transformation of a prison environment marked by colonial history into a prison compatible with the formal equality of citizens, in the context of a protest against nuclear tests and demands for independence.