De l’expérimentation des cours criminelles départementales : une réforme souhaitable mais non sans risques (2019-2022)

Auteur•rice•s

Christiane BESNIER

Publication

Déc. 2022

Avec la création de la cour criminelle départementale, le critère organisationnel est le principal motif de la réforme. Pour la première fois dans l’histoire de la cour d’assises les jurés disparaissent totalement en premier ressort. La croissance du contentieux exige en effet une adaptation réaliste aux moyens de l’institution pour faire face à une poussée de la demande de justice. La réforme présente un changement de paradigme en opérant un glissement du modèle « citoyen juré », tel qu’analysé à partir des travaux de Tocqueville, vers le modèle « citoyen usager ». On ne cherche plus à incorporer le citoyen dans l’appareil judiciaire mais à mieux satisfaire ses attentes. Ce rapport examine l’application de ce nouveau paradigme au regard d’une enquête ethnographique menée au sein des cours criminelles.
Cette recherche s’inscrit dans la tradition de l’ethnologie juridique en Europe qui pratique l’observation participante. Cette démarche se traduit par la présence physique du chercheur à l’audience et se prolonge par une réflexion théorique à partir de la norme juridique. Il s’agit d’analyser le droit « en train de se faire ». Durant 30 mois de septembre 2019 à mars 2022, nous avons suivi 18 affaires dans 9 cours criminelles : Caen, Rouen, Versailles, Metz, Bourges, Pontoise, Montpellier, Toulouse et Nantes.
L’expérimentation de la cour criminelle démontre que les deux objectifs de la loi ont été atteints : d’une part, réduire les délais entre la fin de l’instruction et l’audience ; d’autre part, restaurer la véritable qualification aux viols. En jugeant plus rapidement et en accordant du temps aux affaires de viols l’audience répond aux attentes des citoyens. Mais, comme nous l’avons observé, c’est grâce à la pratique des magistrats et des avocats que la cour criminelle fonctionne de manière satisfaisante. L’expérimentation de la cour criminelle a été une réussite grâce à l’ethos des professionnels soucieux de respecter l’oralité des débats dans l’intérêt des accusés et des parties civiles.
Le temps d’audience sera dans l’avenir un enjeu déterminant pour rendre une bonne justice. Alors que la justice managériale veut accélérer ce temps, cette réforme se heurte à une autre demande du justiciable : celle d’une justice qui exige un débat approfondi tant du côté de l’accusé que de la partie civile. Tel est le paradoxe de cette réforme confrontée à deux temporalités : à court terme, elle permet avec réalisme de répondre à une attente légitime de justice aux délais raisonnables ; à long terme, l’absence de jury et la perte d’oralité des débats peut réduire la légitimité démocratique de la cour criminelle.