Les réintégré.es dans l’enquête TeO2 : une recherche en terrain troublé
La procédure de réintégration à la nationalité française, ouverte en 1804, a été peu étudiée en sciences sociales. À l’ère des décolonisations, elle a offert aux ressortissant·es des anciennes colonies la possibilité de recouvrer la nationalité française perdue après les indépendances. Cette recherche explore ce dispositif méconnu à partir de 37 entretiens biographiques menés avec des personnes (re)devenues Françaises par diverses procédures, réintégration comprise, contactées grâce à un partenariat avec l’INED et un accès aux données de la deuxième édition de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO2, INED-INSEE). Trois objectifs guident l’étude : (1) comparer les expériences de réintégration à d’autres modes d’obtention de la nationalité française (filiation, naturalisation), (2) contribuer aux débats sur la nationalité en tant que « lien légal » et « lien émotionnel », et (3) explorer la complexité des articulations entre identités de papiers et sentiments d’appartenance en se focalisant sur le rapport au droit de la nationalité française des ressortissant·es des anciennes colonies. Nos entretiens révèlent tout d’abord des ambiguïtés fréquentes parmi les enquêté·es dans la description du processus d’accès à la nationalité française. Cependant, ces ambiguïtés n’expliquent que partiellement les différences observées dans les données de TeO2 entre la catégorisation des personnes interrogées et la manière dont elles ont « réellement » obtenu la nationalité française. Parmi les personnes interviewées qui sont répertoriées comme réintégrées dans TeO2, très peu ont en effet obtenu la nationalité française par réintégration. Ce trouble dans les données ne dépend pas seulement des déclarations des enquêté·es. Il résulte aussi de la manière dont les catégories juridiques sont définies dans l’enquête TeO2 et, plus globalement, de la difficulté à positionner les trajectoires individuelles et familiales dans la complexité du droit de la nationalité française. Notre étude montre également que, plutôt que d’être en opposition, usages émotionnels et usages pragmatiques du droit de la nationalité apparaissent étroitement liés à l’échelle individuelle. Les choix relatifs au maintien, à l’adoption ou à la renonciation d’une nationalité mettent en tension des considérations émotionnelles et des considérations pratiques, que chacun·e interprète différemment en fonction de son parcours personnel et familial. Bien que, d’un point de vue historique et juridique, les réintégré·es forment un groupe singulier parmi les Français·es par acquisition, leur expérience de l’accès à la nationalité se distingue peu de celle des personnes devenues Françaises par d’autres voies. Certain·es réintégré·es peuvent rétrospectivement prêter à la procédure la signification qu’iels n’étaient pas entièrement étranger·ères. Toutefois, la démarche n’est pas vécue sur le mode du « retour » à une nationalité à laquelle iels se seraient toujours senti·es attaché·es.
English version – Résumé en anglais
Compared to other modes of access to French citizenship, the “reintegration” procedure has never given rise to any in-depth social science study. Present since 1804 in the French Civil Code, this procedure entered a new era during decolonisation, allowing nationals of former French colonies to regain French status. This research focuses on shedding light on the often-overlooked reintegration procedure. It is based on 37 interviews with individuals who acquired French citizenship through various legal avenues, including reintegration. These interviews have been facilitated through a partnership with the National Institute for Demographic Studies (INED) and the possibility of relying on the TeO2 survey (Trajectories and Origins, survey on the diversity of the population in France INSEE-INED). The study pursues three main research objectives: (1) comparing reintegration experiences with other modes of obtaining French citizenship (descent, naturalisation), (2) contributing to debates on citizenship as both a “legal” and an “emotional” bond, and (3) exploring the complex articulation between legal status and sense of belonging, focusing on the relationship to French citizenship among individuals from former colonies. The research first reveals frequent ambiguities among interviewees in describing the process of obtaining French citizenship. However, these ambiguities only partially explain differences observed in TeO2 data between the categorisation of interviewees’ modes of access to French citizenship and how they actually became French. Among those labelled as “reintegrated” in the TeO2 survey, very few indeed obtained French citizenship through the reintegration process. This disparity in data is not solely attributable to the statements made by respondents; it also hinges on how legal categories are defined in the TeO2 survey and, more broadly, on the challenges of situating personal and familial trajectories within the complexities of French citizenship law. The study also highlights that, instead of being in conflict, the emotional and pragmatic uses of citizenship law are closely interconnected at the individual level. Choices regarding retaining, acquiring, or renouncing citizenship introduce a tension between emotional and practical considerations, with each individual interpreting these decisions based on their personal and familial background. While reintegrated individuals hold a historical and legal distinction as a unique category among French citizens by acquisition, their experience of acquiring citizenship does not significantly differ from those who became French through alternative means. Some reintegrated individuals may retrospectively perceive the procedure as indicating that they were not entirely “foreign” to France. However, the process is not perceived as a “return” to a citizenship to which they always felt connected.